Peut-on faire de la recherche scientifique sans avoir recours au naturalisme méthodologique ? (2/2)

Méditations spirituelles 31/08/2022

31 août 2022 | par Leonard BRAND Professeur de biologie et paléontologie à l’université de Loma Linda | Science & Origines n° 30 2015  p. 4 – 7

(Suite de l’article publié hier)

Avec d’autres géologues, j’ai étudié la Formation de Pisco et nous avons vite remarqué le contraste entre les vitesses d’accumulation supposées des sédiments et le rapide enfouissement nécessaire à la préservation de baleines entières. Pourquoi l’avons-nous remarqué ? Contrairement aux chercheurs précédents, nous avons abordé la recherche d’un point de vue qui ne supposait pas de longues périodes de temps pour les archives géologiques. Nous avons commencé avec une question ouverte : combien de temps a-t-il fallu pour déposer ces sédiments et ces fossiles ? Notre idée n’était pas contrôlée par des suppositions uniformitaristes, mais permettait d’envisager une courte période de temps pour cette formation (remettant donc aussi en question les datations radiométriques). Notre hypothèse proposait un processus beaucoup plus rapide que celui permis par la chronologie fondée sur le naturalisme méthodologique (puisque beaucoup de temps est invoqué pour permettre les changements évolutifs chez certains vertébrés fossiles de Pisco). Notre but a été de tester cette hypothèse dans la partie de la formation que nous avons étudiée, pour ne pas faire correspondre à tout prix nos données à notre hypothèse, que cela convienne ou non. Si nous cherchons la vérité (comme la science le devrait) nous ne nous satisferons pas d’un effort pour faire coïncider de force les données avec une idée préconçue.

Les observations faites sur les baleines et les diatomites appuyaient un rapide ensevelissement des baleines et une rapide accumulation des sédiments qui les ont recouvertes.6 Qu’a donc accompli cette recherche ? Que peut-on dire de notre travail ?

1. Avons-nous prouvé le déluge biblique ? NON. Le mot preuve ne devrait pas être utilisé ici, et la Formation de Pisco n’est qu’une formation parmi beaucoup d’autres.

2. Avons-nous montré que toute la Formation de Pisco s’est formée très rapidement ? NON.7 Nos n’avons pas éliminé la possibilité que certaines parties de cette formation se soit formée plus lentement.

3. Avons-nous réfuté le naturalisme méthodologique ? NON. Nous ne l’avons tout simplement pas utilisé.

4. Avons-nous utilisé des méthodes de recherche différentes de celles des autres scientifiques ? NON. Nos collectes et analyses de données ont été faites selon les procédures de recherche habituelles.

5. Notre hypothèse a-t-elle été scientifiquement productive ? A-t-elle mené à la découverte et à la compréhension d’indices que d’autres n’avaient pas reconnus ? OUI.

6. Cette recherche est-elle compatible avec la suggestion que les questions et les hypothèses n’utilisant pas le principe du naturalisme méthodologique peuvent être scientifiquement fructueuses ? OUI.

7. Les observations appuient-elles notre hypothèse d’un ensevelissement rapide ? OUI.

8. Avons-nous essayé d’étudier un miracle ? NON. Nous avons étudié une séquence d’événements de dépôts, mais pas leur cause ultime. Plutôt que d’essayer d’étudier un miracle, nous avons seulement laissé notre vision du monde ouvrir notre pensée sur un plus large éventail d’options. Le dépôt rapide recouvrant les baleines pourrait-il faire partie d’un processus plus vaste initié par une action intelligente ? Peut-être, mais la science ne peut l’évaluer.

Dans notre recherche et notre interprétation des données sommes-nous totalement objectifs ? Non, nous sommes des humains comme tout le monde. Mais nous avons deux avantages sur beaucoup d’autres. Un premier avantage devient évident lorsqu’on lit l’abondante littérature anti-créationniste, qui révèle clairement que leurs auteurs ne savent pas grand-chose de ce que pense un créationniste de formation scientifique.8 Ils ne comprennent que leur propre vision du monde. Ce-pendant, ceux d’entre nous, interventionnistes, qui sommes fortement impliqués dans la recherche et la publication, nous connaissons bien notre propre point de vue et aussi la littérature scientifique et les théories en cours dans notre domaine. Ainsi constamment nous comparons les idées spécifiques de ces différentes visions du monde et réfléchissons à la manière dont nous pouvons faire notre choix. L’autre avantage est que, puisque nous ne limitons pas notre réflexion aux interprétations fondées sur le naturalisme méthodologique, il est plus probable que nous remarquions les éléments qui peuvent paraître, dans un mode de pensée naturaliste, de simples curiosités sans importance, comme le cas des baleines bien conservées dans des sédiments se formant lentement. Quand nous y prêtons attention, certains se révèlent très importants. Dans cette recherche comme dans d’autres, le fait de libérer notre réflexion des restrictions artificielles (présuppositions) du naturalisme méthodologique nous a ouvert les yeux sur des choses que d’autres n’avaient pas vues. Cela nous a convaincus que l’utilisation actuelle du naturalisme méthodologique est plus un préjudice pour la science qu’un atout….

Conclusion

Certains indices semblent soutenir de longues périodes de temps pour l’histoire de la Terre, mais d’autres disent l’opposé. Quand deux sources de données sérieusement étudiées pointent vers des directions opposées, cela ne veut pas nécessairement dire qu’on a fait un travail scientifique superficiel ou partial…. La contradiction nous dit très probablement qu’il y a encore quelque chose à découvrir qui peut apporter de la clarté et de la cohérence dans notre compréhension du sujet à l’étude. Je prédis que cette clarté augmentera si nous ne sommes
pas limités dans notre réflexion par le naturalisme méthodologique….

Pourquoi est-il si important de remettre en question l’utilisation du naturalisme méthodologique, particulièrement dans les science expérimentales ?… Le naturalisme méthodologique est un problème dans le monde scientifique parce que c’est une philosophie bien ancrée avec des implications qui vont inévitablement bien au-delà de toute application fondamentale valable. S’il ne s’appliquait qu’aux science expérimentales, il serait assez inoffensif. Mais le problème le plus sérieux du naturalisme méthodologique est qu’il déborde inévitablement sur des débats portant sur l’histoire, où il essaie de dicter des réponses que la science ne peut fournir.

… La science dépasse ses limites légitimes, ce qui semble toujours se produire quand le naturalisme méthodologique est utilisé en tant que position philosophique. Il vaudrait mieux reconnaître simplement que l’utilisation d’explications surnaturelles dans les sciences expérimentales n’est pas d’une grande utilité et, si des événements miraculeux se sont produits dans l’histoire, la science ne peut nous dire comment le surnaturel fonctionne et en reste là. Nos explications devraient être fondées sur les indices disponibles ou accessibles et non être contrôlées par des présuppositions philosophiques comme le naturalisme méthodologique. La véritable science doit être totalement fondée sur les observations et non sur des présuppositions.


Traduction d’un extrait de l’article Naturalism : its role in science, Origins, 64 (2015) : 21-37.


Références

6. BRAND L., ESPERANTE R., CHADWICK A., POMA O. & ALOMIA M. 2004. Fossil Whale Preservation Implies High Diatom Accumulation Rate in the Miocene-Pliocene Pisco Formation of Peru. Geology, 32:165-168.

7. Les sédiments qui ont enseveli les baleines ont été déposés rapidement, mais nous n’avons pas démontré l’absence d’autres sédiments s’accumulant plus lentement.

8. Exemples : COYNE J.A. 2009. Why Evolution is True. Penguin Books, New York; MILLER K.R. 2000. Finding Darwin’s God: a Scientist’s search for common ground between God and evolution. Harper Collins, New York.