Peut-on faire de la recherche scientifique sans avoir recours au naturalisme méthodologique ? (1/2)

Méditations spirituelles 30/08/2022

30 août 2022 | par Leonard BRAND Professeur de biologie et paléontologie à l’université de Loma Linda | Science & Origines n° 30 2015  p. 4 – 7


Le naturalisme méthodologique1 prétend que le naturalisme2 est l’approche qui permet de faire de la science. La science peut étudier ce qui est naturel et matériel, mais n’a aucun moyen d’explorer le surnaturel. Le naturalisme méthodologique peut donc paraître raisonnable. Pendant de nombreuses décennies il a été presque universellement accepté comme la principale règle à suivre dans la pratique de la science et a été considéré comme la seule méthode qui marche.3 Mais en est-il de même lorsque la recherche porte sur le passé et sur les origines ?


Dans les sciences expérimentales, nous ne pouvons pas utiliser des explications surnaturelles pour nos observations de processus courants gouvernés par des lois, même si nous croyons en un Dieu faisant des miracles… Même les scientifiques qui croient en un Dieu toutpuissant réalisent que, bien qu’il dirige l’univers, il ne le fait normalement pas en jouant avec le fonctionnement courant de la nature.

La reconnaissance de la fiabilité des lois physico-chimiques est le guide qui convient. Si c’est le cas, alors quel est le rôle pratique du naturalisme méthodologique dans la recherche expérimentale ?

Dans l’étude de l’histoire et des origines il y a des questions qui diffèrent de manière importante de celles de la recherche expérimentale sur les processus courants…

Suivre le naturalisme méthodologique dans les sciences expérimentales peut paraître neutre, mais il est probable que cette philosophie s’étende à l’étude des origines, rejetant toute idée biblique sur l’histoire biologique et géologique (ex. : création ou déluge universel), que cela soit ou non la bonne stratégie…

Si la science est objective et ouverte, elle peut explorer la question de l’origine de la vie et évaluer au moins la probabilité des différents événements postulés pour le commencement de la vie. Elle peut le faire si elle n’est pas bloquée par le frein de l’application rigide du naturalisme méthodologique qui refuse que la question d’une conception planifiée de la vie soit posée. Pourquoi la science devrait-elle être contrôlée par un dogme ?…

Toute vision du monde peut introduire un préjugé dans la recherche. Notre tâche est donc de définir une approche de la recherche qui n’introduise pas un parti pris contre le naturalisme ou contre l’interventionnisme.4 Cette approche cherche à permettre aux scientifiques de philosophies différentes de poser des questions et de suggérer des hypothèses à tester par les méthodes de la science. Si cette démarche réussit, alors il sera possible de montrer que les arguments utilisés contre les conceptions interventionnistes (créationnistes) dans le travail scientifique ne sont pas valables.

Notre démarche peut commencer par des observations tirées de la science, sur le terrain ou en laboratoire, ou de la littérature scientifique. Ces observations avec notre vision du monde peuvent susciter de nouvelles questions sur les phénomènes étudiés. Celles-ci pourraient venir de sources diverses (science, philosophie, religion) mais elles doivent pouvoir être abordées par les méthodes de la science. Après avoir pris connaissance de la littérature scientifique sur la question, un plan de recherche peut être défini avec des méthodes claires de collecte et d’analyse de données, la recherche peut alors commencer.

Un exemple permettra d’illustrer cette démarche. La Formation de Pisco du Miocène/ Pliocène dans la plaine côtière du Pérou est une épaisse succession de couches de sédiments. Ces sédiments sont riches en vertébrés marins fossiles, dont un grand nombre de baleines. Celles-ci présentent un fort pourcentage de squelettes articulés très bien conservés, dont les os ont été épargnés par les charognards. Beaucoup de baleines ont même leurs fanons (kératineux, non osseux) destinés à filtrer la nourriture, préservés dans leur position normale dans la bouche.5

Dans les milieux actuels une telle préservation d’une baleine demanderait un ensevelissement au plus en quelques semaines ou mois. Cependant, l’interprétation des sédiments de Pisco qui ont enseveli les baleines veut qu’ils se soient accumulés sur le fond marin à une vitesse de quelques centimètres par millier d’années, ce qui est beaucoup trop lent pour préserver des baleines. Les géologues et les paléontologues qui ont étudié les baleines de Pisco depuis au moins 20 ans n’ont pas remarqué cette incohérence manifeste ou n’ont pas assez pris la peine de chercher une réponse et d’en débattre dans des articles scientifiques.

(À suivre demain)


Traduction d’un extrait de l’article Naturalism : its role in science, Origins, 64 (2015) : 21-37.


Références

1. Le naturalisme méthodologique est l’idée selon laquelle la science, n’utilisant que des explications naturelles et matérielles, n’acceptera que les explications dépendant des lois de la physique et de la chimie. C’est pourquoi il nie l’action des miracles sur les phénomènes étudiés par la science. Il serait donc la seule méthode qui fonctionne en science.

2. Le naturalisme est la conception selon laquelle tout en science s’explique par des processus matériels liés à des lois connues en excluant tout explication miraculeuse ou surnaturelle.

3. MILLER K.B. 2009. The Misguided Attack on Methodological Naturalism. In: SCHNEIDERMANN J.L. & ALLMON W.D. (Eds), For The Rock Record. University of California Press, Berkeley, CA, p. 117-140.

4. L’interventionnisme est une vision du monde qui accepte la possibilité d’une intervention intelligente dans l’histoire, qu’elle soit divine ou autre.

5. ESPERANTE-CAAMANO R., BRAND L.R., CHADWICK A. & POMA O. 2002. Taphonomy of Fossil Whales in the Diatomeous Sediments of the Miocene/Pliocene Pisco Formation, Peru. In: DE RENZI et al. (Eds), Current Topics on Taphonomy and Fossilization (International Conference Taphos 2002, Valencia, Spain), p. 337-343; ESPERANTE R., BRAND L., NICK K., POMA O. & URBINA M. 2008. Exceptional occurrence of fossil baleen in shallow marine sediments of the Neogen Pisco Formation, Southern Peru. Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology 257:344-360.