Vitamine D - une nouvelle déception ?

Méditations spirituelles 07/05/2023

Par Robert Ancuceanu | Signs of Times

S’il fallait choisir une star parmi les vitamines, une star semblable aux célébrités qui électrisent le monde des people, la vitamine D aurait de grandes chances d’occuper le podium.

Lorsqu’on examine le nombre d’articles scientifiques publiés sur cette vitamine, on ne peut rester indifférent : depuis 1922, lorsque le terme “vitamine D” commençait timidement à entrer dans la conscience des scientifiques, jusqu’à aujourd’hui, où dans le monde occidental la vitamine D est accessible à tous, ce ne sont pas moins de 69 485 articles scientifiques qui lui ont été consacrés. Cependant, avec l’augmentation du nombre d’articles, les déceptions semblent également se multiplier.

La vitamine D : une star parmi les vitamines

Si, en 1970, comme l’indique Medline (United States National Library of Medicine), 381 articles scientifiques sur la vitamine D ont été publiés, en 1994 le nombre annuel d’articles a dépassé les 1.000, en 2009 les 2.000, deux ans plus tard (en 2011) les 3.000 et en 2014 les 4.000. À titre de comparaison, le nombre total d’articles publiés sur la vitamine A est de 50 315, sur la vitamine C de 56 830, sur la vitamine E de 39 375 et sur la vitamine K de 21 526.

Des centaines d’études d’observation chez l’homme ont été réalisées au cours de la dernière décennie, démontrant l’existence de liens entre la carence en vitamine D et une série d’affections humaines aiguës ou chroniques, telles que les maladies rhumatismales, les maladies inflammatoires de l’intestin, la thyroïdite auto-immune, les maladies cardiovasculaires, les maladies pulmonaires, la sclérose en plaques, la schizophrénie, et même le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité diagnostiqué chez l’enfant.

La plupart de ces études ont révélé que dans ce large éventail de conditions humaines, il y a une carence en vitamine D, mais pas nécessairement que cette carence contribue de manière causale à l’apparition des maladies respectives ou que, avec un apport adéquat en vitamine D, ces maladies pourraient être évitées ou guéries. Mais la tentation de croire qu’il y a unlien de cause à effet est très forte, et de nombreuses personnes dans le monde médical, ainsi que certains patients, ont commencé à utiliser des suppléments de vitamine D dans l’espoir qu’ils résoudraient ces problèmes de santé.

La vitamine D prévient-elle les chutes chez les personnes âgées ?

Malgré cette forte tentation d’assimiler association et causalité, cette égalité n’existe pas, et après que l’enthousiasme pour les bienfaits de cette vitamine se soit développé au sein de la communauté médicale, il est tempéré depuis plusieurs années par des études évaluant l’impact de la vitamine D sur diverses affections. Par exemple, s’il fut un temps où de plus en plus d’arguments s’accumulaient pour indiquer une réduction du risque de chutes chez les personnes ayant un apport suffisant en vitamine D, les données expérimentales permettant de vérifier cette théorie sont assez rares.

En théorie, la vitamine D devrait réduire le risque de chute chez les personnes âgées car : (a) la carence en vitamine D est associée à une faiblesse musculaire, (b) le récepteur de la vitamine D (la protéine par laquelle elle exerce ses effets) est exprimé dans le tissu musculaire humain, comme l’indiquent la plupart des études, et (c) l’activation du récepteur de la vitamine D dans les muscles stimule la synthèse des protéines dans les fibres musculaires impliquées dans la prévention des chutes. Mais qu’est-ce que les expériences ont réellement trouvé lorsqu’elles ont testé la réduction du risque de chute après la prise de vitamine D ?

Selon une version optimiste basée sur plusieurs études, les seules personnes pour lesquelles la vitamine D aurait un réel avantage dans la prévention du risque de chute sont les personnes âgées de 65 ans ou plus, qui présentent une carence en vitamine D. Dans ce cas, les suppléments peuvent prévenir les chutes et les fractures qui en découlent (mais pas chez les populations plus jeunes). Néanmoins, d’autres études offrent une perspective encore plus pessimiste.

En 2016, Heike A. Bischoff-Ferrari et ses collègues ont publié une étude dans laquelle ils ont évalué les effets de trois doses de vitamine D3 chez des personnes âgées ayant des antécédents de chutes dans les 12 mois précédant le début de l’étude. Les patients inclus dans l’étude ont été répartis en trois groupes. Un groupe a reçu une dose de 24 000 unités internationales (UI) par mois de vitamine D3 (800 UI par jour), un autre a reçu une dose de 60 000 UI par mois (2 000 UI par jour), et le troisième groupe a reçu une dose de 24 000 UI par mois (800 UI par jour), plus 300 microgrammes de calcifédiol (un produit formé par la métabolisation de la vitamine D dans le foie, 2 à 3 fois plus puissant que la vitamine D3).

Qu’ont-ils constaté ? 80 % des patients des deux groupes ayant reçu des doses supérieures à 24 000 UI par mois (800 UI) ont atteint un niveau de 30 ng/mL de 25-hydroxyvitamine D, ce qui est considéré comme nécessaire pour réduire le risque de chutes et de fractures. Ainsi, avec des doses plus élevées de vitamine D, le niveau optimal de 25-hydroxyvitamine D a été atteint, mais les conclusions ne s’arrêtent pas là. Les groupes ayant reçu les doses les plus élevées de vitamine D et atteint le niveau souhaité de 30 ng/mL de 25-hydroxy-vitamine D présentaient également la proportion la plus élevée de chutes et de fractures (66,9 % et 66,1 %, contre 47,9 %), la différence observée étant statistiquement significative. Ainsi, des doses plus élevées de vitamine D ont été associées à des risques plus élevés de chutes et de fractures que des doses plus faibles, alors que les auteurs s’attendaient à des résultats inverses.

Face à ces résultats, une question naturelle se pose : Que se passerait-il si un quatrième groupe ne recevait pas de vitamine D du tout (et recevait un placebo à la place) ? La fréquence des chutes serait-elle plus élevée ou plus faible ? Un essai clinique comparant la vitamine D à une dose de 800 UI/jour (24 000 UI par mois) et un placebo n’a pas observé de différence statistiquement significative dans la fréquence des chutes chez des femmes âgées de 70 à 80 ans. En revanche, l’exercice physique a réduit le risque de blessure chez les personnes ayant chuté (qu’elles aient reçu de la vitamine D ou non). La vitamine D a eu des effets positifs sur la densité minérale osseuse, mais seul l’exercice a amélioré la force musculaire et l’équilibre.

Une autre étude, également publiée en 2015, a également comparé deux doses de vitamine D3 (24 000 UI par mois et 50 000 UI par mois) à un placebo. La conclusion ? La vitamine D3 à haute dose a augmenté l’absorption du calcium de 1 % (dans le groupe vitamine D3 à faible dose et dans le groupe placebo, l’absorption du calcium a diminué à un niveau statistiquement significatif, respectivement de 2 % et de 1,3 %), mais ce petit effet ne s’est traduit par aucun bénéfice en termes de densité minérale osseuse, de fonction musculaire, de masse musculaire ou de fréquence des chutes. Les auteurs remettent donc en question les recommandations des experts visant à atteindre un niveau d’au moins 30 ng/ml de 25-hydroxyvitamine D.

Tenant compte des résultats d’études similaires, ainsi que de ceux de méta-analyses montrant des résultats contradictoires quant aux bénéfices de la vitamine D chez les personnes âgées vivant dans la communauté (pas en institution) et des résultats positifs chez les personnes institutionnalisées, un éditorial accompagnant l’article de H. A. Bischoff-Ferrari et de ses collaborateurs a exprimé son scepticisme quant aux bénéfices potentiels de la vitamine D chez d’autres catégories de personnes que les personnes institutionnalisées.

Un peu en même temps que ces publications, un groupe d’auteurs canadiens a examiné la littérature scientifique sur plusieurs “croyances” liées aux effets de la vitamine D sur la santé. La première “croyance” analysée était celle liée à l’effet sur le risque de chutes, et la seconde, celle liée à l’effet sur le risque de fractures. Cet article n’a pas pu inclure l’étude de H. A. Bischoff-Ferrari et al et a une conclusion un peu plus positive en ce sens qu’il y a un effet de réduction du nombre de chutes chez les personnes âgées, mais cet effet n’est pas supérieur à 15%. En ce qui concerne le risque de réduction des fractures, ces auteurs concluent, sur la base des études publiées jusqu’à présent, que lorsque le risque initial de fractures est d’environ 15 %, il est nécessaire pour un certain nombre de personnes âgées de 45 à 67 ans de prendre de la vitamine D et du calcium tous les jours pendant 10 ans pour prévenir une fracture. Il s’agit bien d’un bénéfice, mais probablement moins important que ne le pensent de nombreux patients, et même des professionnels de la santé.

Vitamine D : quels sont ses effets si l’on tient compte d’autres affections ?

Les résultats ne sont pas plus encourageants lorsqu’il s’agit de vérifier les effets de la supplémentation en vitamine D sur d’autres pathologies. Des méta-analyses basées sur des données publiées jusqu’en 2016 (à savoir 40 essais cliniques contrôlés randomisés) ont montré que la vitamine D, avec ou sans calcium, n’a aucun effet sur les crises cardiaques, les cardiopathies ischémiques, les accidents vasculaires cérébraux ou les maladies cérébrovasculaires. Les concentrations initiales de 25-hydroxy-vitamine D, les concentrations de 25-hydroxy-vitamine D atteintes après supplémentation ou la durée du traitement n’ont aucunement influencé les résultats de ces analyses. Les résultats n’étaient pas différents en termes d’effets sur le cancer ou sur la mortalité en général.

Plusieurs études ont montré que les personnes ayant un faible taux de vitamine D dans leur sérum sanguin présentaient une incidence plus élevée d’infections des voies respiratoires. Comme dans d’autres cas, la conclusion tentante était que l’utilisation de suppléments de vitamine D chez ces personnes préviendrait les infections des voies respiratoires. Et, comme dans d’autres cas, la vérification expérimentale de cette hypothèse a échoué. Une méta-analyse basée sur sept essais cliniques randomisés portant sur 4 827 participants n’a trouvé pratiquement aucune différence dans le risque d’infections des voies respiratoires entre les sujets ayant reçu des suppléments de vitamine D et ceux des groupes de contrôle. Ni l’âge, ni la dose de vitamine D, ni la durée du suivi des sujets n’ont eu d’impact sur cette conclusion.

Les avantages d’une supplémentation en vitamine D chez les patients souffrant de dépression sont moins clairs. Trois méta-analyses publiées en 2014 (1 | 2) et 2015 ont conclu que l’utilisation de la vitamine ne réduisait pas les symptômes de la dépression, tout en reconnaissant que la plupart des études menées jusqu’à présent portaient sur des sujets présentant des niveaux réduits de dépression et des niveaux suffisants de vitamine D au début de l’étude. Une méta-analyse unique, qui a tenté d’extraire des études existantes sur la dépression celles dont la conception était solide du point de vue de la biologie des hypothèses, a affirmé que les études de qualité soutiendraient une amélioration des symptômes dépressifs chez les patients ayant reçu de la vitamine D, par opposition aux études présentant des déficiences “biologiques”, qui tendaient à indiquer un effet négatif de la vitamine D sur les symptômes dépressifs.

Que faisons-nous de la vitamine D ?

Il ne serait pas impossible que certains bénéfices de la vitamine D (par exemple pour la douleur ou l’asthme) existent, mais ceux-ci demandent à être confirmés et clarifiés en ce qui concerne les populations cibles et les conditions d’administration (dose, durée, etc.). Les bénéfices prouvés existants ne justifient pas une utilisation constante et uniforme de la vitamine D dans toutes les catégories de personnes, indépendamment de l’âge et de l’état de santé. Jusqu’à ce que des études plus récentes indiquent que la vitamine D – même à des doses considérées comme “thérapeutiques” – pouvait en fait avoir des effets nocifs sur l’organisme, la perception dominante était que si la vitamine D était en quelque sorte inefficace, au moins elle n’était “pas nocive”.

À la lumière des données accumulées, nous n’en sommes plus si sûrs. Et ces données s’ajoutent aux nombreuses autres qui indiquent que les divers suppléments de vitamines et de multivitamines n’ont aucun avantage ou ont même un impact négatif sur la santé. C’est pourquoi de nombreux experts médicaux se demandent sérieusement si, pour la plupart d’entre nous, la meilleure solution ne serait pas d’obtenir nos vitamines par le biais d’une alimentation équilibrée et d’une exposition adéquate au soleil, plutôt que par le biais de comprimés ou de pilules. Et, comme nous l’avons vu en passant, un peu d’exercice physique peut parfois avoir un effet plus important qu’une bonne dose de vitamine D.


Robert Ancuceanu est professeur de doctorat à la faculté de pharmacie de l’université de médecine et de pharmacie “Carol Davila” de Bucarest, en Roumanie.