Un juge à l’église

Méditations spirituelles 22/12/2022

Dick Duerksen | Adventist World, décembre 2022

« Faites bien attention à ce que vous allez dire. Un mot de travers, et vous serez jeté en prison ! »

Dans ce pays, il y a des lois sur la religion. Il est illégal d’avoir une Bible, de lire la Bible, de parler de la Bible, de tenir des réunions au sujet de la Bible. L’État a approuvé un seul culte. Tous les autres doivent être éliminés. Mais un jour, pour une raison d’ordre politique inexpliquée, le ministère de la Religion autorise un petit groupe d’adventistes à tenir une campagne d’évangélisation.

« C’était, pour sûr, le plan de Dieu ! raconte le pasteur Ed. Un dirigeant du groupe m’a téléphoné et m’a demandé si j’accepterais de tenir une campagne d’évangélisation. Du même coup, il m’a prévenu : Par contre, pasteur, faites bien attention à ce que vous allez dire. Un mot de travers, et vous serez jeté en prison ! J’ai écouté. J’ai imaginé la vie dans un cachot sombre et poussiéreux avec des rats menaçants et j’ai su que je devais accepter cette demande. »

Les organisateurs font de la publicité dans toute la ville – discrètement. Ils parlent des réunions à leurs amis – à voix basse. Ils prient Dieu d’envoyer les bonnes personnes aux réunions – à voix haute.

Le premier soir, tous les sièges de la salle sont occupés ! Dehors, des gens se penchent aux fenêtres ouvertes.

Certains que le gouvernement enverrait des espions dans la congrégation, les membres d’église scrutent les lieux pour les repérer. Rien à signaler… enfin, jusqu’à ce que le juge du secteur et sa femme entrent et s’installent dans des sièges près de l’estrade.

L’un des dirigeants de l’église en informe le pasteur Ed en sourdine.

« L’image du donjon m’est aussitôt revenue en tête, poursuit Ed. Je me suis alors demandé si je devais changer mon sermon. Puis je me suis souvenu que Jésus est le même hier, aujourd’hui, et éternellement – et j’ai su que je devais aller de l’avant avec mon message sur Jésus et son amour. »

Le pasteur Ed prêche comme si le juge était la seule personne dans la congrégation. Il se sert de sa Bible (illégale), cite des passages (que la loi interdit de lire à haute voix), raconte des histoires bibliques (que les gens ne sont pas autorisés à connaître), et met en avant une conception de Dieu totalement contraire à la vision religieuse du gouvernement.

Le pasteur Ed dit la vérité comme si Dieu mettait dans sa bouche exactement ce qu’il faut dire.

Le juge prend des notes. Sa femme, elle, tamponne ses yeux remplis de larmes. Comprenant parfaitement le danger, les membres de la congrégation retiennent leur souffle jusqu’à la prière de clôture.

Le lendemain soir, tout se déroule exactement de la même manière. La salle de réunion est pleine, le juge et sa femme sont là, Jésus est exalté, et l’assemblée retient son souffle.

Les membres se réunissent en petits groupes et en famille. Toute la journée et une bonne partie de la soirée, ils prient pour le pasteur Ed, pour les messages qu’il partage avec ses auditeurs, pour chaque personne qui assiste aux réunions, et pour qu’on ne leur mette pas le grappin dessus.

Les troisième et quatrième soirs, tout le monde se détend un peu. Personne n’a encore été arrêté. La police n’est pas venue interrompre la réunion. Le Saint-Esprit convainc les auditeurs, et de nombreux visiteurs réagissent de manière positive. Le juge et sa femme assistent à chaque réunion, écoutant attentivement et prenant des notes. Un sourire éclaire le visage de cette dernière.

Au cours de la deuxième semaine de la campagne, le pasteur Ed informe les dirigeants de l’église qu’il va faire un appel au baptême. Oui, c’est le bon moment, conviennent-ils. Ils sont impatients de voir qui va se lever ! Mais en même temps, ils sont terrifiés, car ils vont tous enfreindre la loi délibérément – en plein devant le juge !

« Ça se pourrait bien que ce soit votre dernier sermon, pasteur, lui disent les dirigeants. Le juge a entendu chaque mot que vous avez prononcé. Il sait que vous croyez en Jésus, au sabbat, à la
grâce de Dieu et à bien d’autres choses encore. Le gouvernement désapprouve ces croyances-là. Le juge vient sans doute ici pour vous prendre en train d’inviter les auditeurs à se faire baptiser. C’est ce qu’il attend pour vous arrêter. Ce soir, il se peut qu’on nous jette tous en prison ! »

Ils s’imaginent alors tous ensemble dans un cachot.

Le juge et sa femme entrent dans la salle, et comme d’habitude, s’asseyent non loin de l’estrade. À la fin du sermon, le pasteur Ed lance un appel à l’engagement spirituel et au baptême. Il regarde le juge, remercie Dieu pour le courage accordé, et demande au Saint-Esprit de toucher le cœur de toutes les personnes présentes.

« L’heure est venue pour vous de prendre une décision concernant votre vie et votre avenir, lance le pasteur Ed. Ce soir, Dieu appelle chacun de vous personnellement. »

Soudain, on entend du bruit dans la salle. Plusieurs visiteurs répondent à l’appel en levant la main. Certains se lèvent. D’autres manifestent leur décision à voix haute. Le pasteur Ed répond à chacun d’entre eux, puis jette un coup d’œil sur le juge. Celui-ci fronce les sourcils, car le siège à côté du sien est vide. Le pasteur sursaute presque : la femme du juge est là, à genoux devant l’estrade, les bras levés très haut en réponse à l’appel !

La cérémonie de baptême a lieu avec appréhension. Le pasteur Ed émerge de l’eau la femme du juge. Alors, une voix forte rompt le silence d’un « Amen » retentissant. Cette voix, c’est celle du juge ! Une célébration de joie commence.

Cet après-midi-là, le pasteur Ed rend visite au juge et à sa femme adventiste chez eux.

« Je suis un Saul de Tarse, pasteur. J’ai persécuté les chrétiens depuis le jour où je suis devenu juge. Ma responsabilité consistait à m’assurer que personne ne devienne chrétien sur mon territoire. J’ai fait un lavage de cerveau aux enfants pour qu’ils croient que Jésus n’est qu’une invention. J’ai envoyé un homme en prison pendant 22 ans parce qu’il avait distribué un seul imprimé chrétien. C’était ma responsabilité ! Mais maintenant, ma femme a accepté Jésus comme sauveur personnel, et moi, je ne sais pas quoi faire ! »

« Dieu vous appelle, vous aussi », répond le pasteur Ed.

« Non. Je ne crois pas que Dieu puisse sauver quelqu’un comme moi. »

« Mais vous venez juste de me dire que vous êtes un Saul de Tarse ! Relisons cette histoire ensemble. »

Là, dans le salon de la maison du juge, le pasteur Ed, le juge et la femme du juge relisent cette histoire où Jésus appelle Saul sur le chemin de Damas. Alors, avec Saul, le juge s’effondre et pleure. « Oui, dit-il, c’est vrai. Dieu sauve tout le monde – même moi ! »


Dick Duerksen, pasteur et conteur, habite à Portland, en Oregon, aux États-Unis.