L’adventiste et les syndicats

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Les syndicats ne jouissent pas toujours d’une bonne réputation, principalement dans les milieux adventistes. Le syndicalisme est souvent associé à l’idée d’exigences exagérées voire injustifiées, de violences, d’actions parfois inconséquentes au plan économique. Ces aspects négatifs suscitent le débat quant à l’opportunité pour un adventiste d’adhérer et à plus forte raison de militer dans un syndicat.

Les temps ont changé, le syndicalisme aussi

Depuis le XIXe siècle, la position historique de l’Église adventiste a été de condamner le fait d’être membre de syndicats, sans que pour autant cette non-appartenance constitue un test de fidélité à l’Église. En 2003, le comité de la Division Nord-Américaine votait de réaffirmer la position adventiste en rappelant que les membres d’Église devraient rester indépendants d’organisations qui peuvent violer la conscience des gens, mais que l’adhésion à un syndicat est une affaire de conscience personnelle.

Il est vrai qu’Ellen White est très critique à l’égard des syndicats (trade unions ou labor unions). Mais il convient de rappeler le contexte. Elle parle d’organisations qui contrôlent la circulation des marchandises et le marché du travail tout en exploitant les gens et en provoquant des actions violentes. Elle dit que les trade unions seront cause de terribles violences et que ce sont des agences sataniques. Elle pense que ce n’est vraiment pas la place des adventistes d’en faire partie, car l’appartenance à ces organisations ne permet pas la fidélité aux commandements de Dieu. Les intérêts des travailleurs étaient alors défendus avec des méthodes inacceptables. Ce qui s’est passé dans les syndicats aux États-Unis dans la deuxième moitié du XIXe siècle n’est pas particulièrement exemplaire. Mais il faut dire aussi que le syndicalisme que nous connaissons aujourd’hui dans nos pays recouvre une tout autre réalité que celui de l’époque d’Ellen White. Par ailleurs, la société a beaucoup changé, et la crise actuelle a confirmé la nature profonde, à la fois perverse et irréformable, du capitalisme mondial. Peut-on dès lors maintenir cette condamnation des syndicats à notre époque et dans notre contexte ?

En vue d’adopter une position équilibrée sur le syndicalisme, les adventistes devraient examiner plus objectivement leur époque et être attentifs aux changements de société. Car il faut reconnaître aussi que le syndicalisme a beaucoup apporté pour l’égalité dans la société. Par exemple, il a beaucoup œuvré au début du XXe siècle pour éliminer le travail des enfants. Au contraire, là où Ie syndicalisme est relativement peu puissant, comme aux États-Unis, l’augmentation de la productivité a entraîné d’une part, la croissance des profits et de l’inégalité de leur répartition, d’autre part, une diminution du temps de loisir (1). Depuis l’interpellation de l’apôtre Jacques (2) aux riches de son époque, beaucoup de choses ont changé mais l’égoïsme de l’homme demeure.

Adhérer à un syndicat ?

Le monde du travail actuel est organisé sur un rapport de forces entre patrons et salariés. Il faut donc que ces derniers puissent se défendre ; ce n’est pas évident. Ils ne peuvent pas toujours le faire seuls. Les syndicats doivent intervenir pour que la négociation soit possible et que certains patrons n’exploitent pas telle ou telle situation au détriment des travailleurs.

Dans notre démocratie, le syndicat exerce un nécessaire contre-pouvoir. On constate d’ailleurs que les travailleurs dépendant d’un syndicat important sont, dans les grandes entreprises, mieux protégés que les autres. Les syndicats privilégient aujourd’hui la négociation et le suivi des dossiers plutôt que la révolution sociale.

En vue de prendre position, l’adventiste doit examiner la fonction objective du syndicat ainsi que ses fondements idéologiques et non s’en tenir à des idées reçues. Comme toute organisation sociale, le syndicalisme présente des avantages et des inconvénients. Les syndicats informent les salariés sur leurs droits, orientent leurs démarches, les défendent contre les injustices. Ils sont les interlocuteurs privilégiés du patronat et, parce qu’ils sont capables de mobiliser beaucoup de personnes, ont un certain poids. Cela permet souvent de régler des difficultés en amont, avant d’en arriver à des actions publiques.

Le risque existe toutefois d’utiliser cette capacité de mobilisation à des fins politiques ou corporatistes pas toujours équitables. À certains moments, l’organisation syndicale éprouve de la difficulté à maîtriser les initiatives de ses adhérents, de sorte qu’il peut y avoir des débordements non souhaités. Il se peut aussi que certains membres d’un syndicat se sentent poussés à des actes ou à des méthodes d’action qu’ils n’ont pas choisis.

Le droit de se syndiquer et le droit de grève sont des droits légaux. Les pratiquer n’est pas forcément une rébellion contre l’autorité. Défendre celui qui est ou risque d’être exploité est un acte utile et responsable, car les personnes chargées de rentabiliser les opérations le font parfois au mépris de toutes les règles morales et humanitaires.

Il est possible que des excès se manifestent. Certaines grèves peuvent obéir à des arrière-pensées politiques, à une opposition systématique à tout changement, à des mots d’ordre qui déforment la réalité. D’autres peuvent détruire l’entreprise ou l’économie, prendre des citoyens en otage, contraindre les non-grévistes à ne pas travailler. L’adventiste ne se fera pas d’illusions sur le syndicalisme.

Plus encore qu’il ne le ferait pour une adhésion à toute autre association, pour la protection de l’environnement par exemple, l’adventiste est invité à considérer attentivement les diverses conséquences de l’adhésion à un syndicat. Il décidera en toute conscience et, dans tous les cas, veillera à avoir une attitude compatible avec ses convictions et sa position d’enfant de Dieu.

Être délégué syndical ?

Il se peut qu’étant interpellé par la défense sociale, un adventiste désire s’engager plus avant dans l’aide à son semblable en devenant délégué syndical. Cela lui permet, en outre, d’accéder à certaines négociations et d’avoir légalement du temps pour accompagner ou aider les plus démunis, par exemple dans leurs démarches.

Comme nous l’avons mentionné, les relations employeurs-employés sont souvent basées sur un rapport de force. Chacun s’y attend, y compris le patron qui, au lieu d’accorder tout de suite tel avantage, n’en concède qu’une partie avant d’arriver à un compromis qui satisfera les syndicats et les ouvriers en grève.

Une revendication n’aboutit pas parce qu’elle est juste, ce qu’elle devrait être évidemment, mais parce qu’elle est puissante. La fonction de délégué syndical permet de participer à des concertations ou des discussions avec des dirigeants d’entreprises inaccessibles au simple salarié. Le délégué peut aussi efficacement venir en aide aux gens exploités, parce qu’il est soutenu par son syndicat et se trouve dans le bon comité.

Le texte biblique met en évidence plusieurs principes pouvant éclairer et évaluer notreengagement social. Plusieurs textes affirment les droits des travailleurs à un salaire correct (3). Il y a donc des revendications justes, que Dieu entend. D’autres textes (4) montrent que le christianisme, fidèlement vécu, a des répercussions concrètes sur les rapports sociaux. Les serviteurs et les maîtres ont des responsabilités à remplir selon des principes d’équité et de respect. D’autres passages soulignent que la meilleure façon de servir Dieu est de servir les hommes (5). Le devoir de l’enfant de Dieu est d’exprimer sa foi par l’engagement envers son prochain.

Dans un monde parfait, il n’y aurait pas besoin de représentants syndicaux. Les employeurs aimeraient leurs employés, agiraient honnêtement avec eux et ne seraient pas eux-mêmes soumis à des contraintes extérieures. Ils consulteraient régulièrement leurs salariés sur les grandes orientations de leur stratégie et géreraient les hommes avec humanité. Ce monde est utopique et la réalité est tout autre ! Dans un monde réel et dur, une solidarité doit exister et s’organiser si elle veut être efficace. C’est la vocation du syndicat.

Rien n’interdit à un adventiste d’être un patron. La réflexion éthique commence avec la réponse aux questions suivantes : 1) De quoi est-il patron ? D’une clinique ou d’une usine d’armement ? 2) Quel patron est-il ? Juste et humain, ou avide et irrespectueux ? Il en est de même du délégué syndical : il n’y a pas d’opposition morale de principe. S’il peut s’inscrire dans une juste démarche de revendication, s’il peut être du côté de la justice et de l’humanité, faire preuve de solidarité et de respect pour tous, il serait dommage que la société se prive d’un chrétien aux exigences éthiques élevées. Tout en sachant bien que ces tâches sont très difficiles voire impossibles, il se fixera des limites en conformité avec les valeurs bibliques qui sont les siennes et celles de son Église. Il veillera à travailler à la concertation pour le bien de tous, dans le respect de chacun, du salarié comme du patron. Il pourra également, par un esprit positif et des compétences pour la conciliation, mener des négociations plus sereines et œuvrer à la paix. Grâce à une attitude qui remplace la violence par le dialogue, il sera une balise.

Si des actions fortes, comme des grèves par exemple, sont entreprises, l’adventiste veillera à respecter les principes évangéliques et décidera en toute conscience de sa prise de position et de son action personnelle. Il privilégiera toujours la négociation. Dans tous les cas, il s‘opposera le plus possible à la violence.

Dans les rapports sociaux, l’adventiste se doit d’être engagé pour une plus grande équité. C’est à chacun de déterminer en conscience son degré d’engagement, les modalités de son action, les limites que la réalité ou lui-même fixe. Mais en toutes choses, il s’efforcera d’avoir un comportement que le Christ pourrait approuver.

COMMISSION D’ÉTHIQUE DE L’U.F.B., avril 2010


1 D’après J.-B. Schor, The Overworked American, N. Y., 1991, cité par Ch. Arnsperger, “Ethique, économie et travail”, in J.-D. Causse et D. Müller (dir.), Introduction à l’éthique, Genève, Labor et Fides, 2009, p. 529.

2 Ja 5.1-6.

3 Dt 24.15;Jr22.13;Ja5.4.

4 En particulier Ep 6.5-9 et Col 3.22-25 ; 4.1.


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