Rencontrer l’homme qui a tué sa famille : L'histoire de Melissa Gibson

Méditations spirituelles 10/08/2022

10 août 2022 | L. Ann Hamel | Revue Mission 360 p. 6-11

Le 23 décembre 2003, je reçois un appel de la Conférence générale m’informant qu’une famille de missionnaires a été assassinée à la République des Palaos. Seule une fillette de 10 ans a survécu. On me demande de m’y rendre pour lui prodiguer des soins et pour soutenir la communauté ecclésiastique locale.

Je prends donc l’avion depuis le Michigan, aux États-Unis, le matin de Noël. Je prie pendant toute la durée de ce long voyage pour que Melissa fasse l’expérience de la présence guérissante de Jésus. Bien que j’aie été formée pour traiter l’impact des traumatismes psychiques, je n’ai encore jamais été confrontée à un traumatisme d’une telle ampleur – et particulièrement chez une personne aussi jeune. Je prie Dieu de protéger Melissa des conséquences funestes de cette expérience traumatisante.

Dès mon arrivée aux Palaos, on m’emmène pour rencontrer Melissa à l’Église adventiste de Koror, là où son père avait été pasteur. C’est là que nous nous voyons pour la première fois. Cette enfant magnifique – menue, aux cheveux brun foncé et aux traits fins – est calme. Son comportement ne reflète pas ce qu’elle a vécu les jours précédents.

Destination Pacifique

Mais revenons en arrière. En juin 2002, Ruimar et Margareth DePaiva (les parents de Melissa) acceptent un appel à servir en tant que missionnaires en République des Palaos – un pays insulaire situé dans l’ouest de l’océan Pacifique. Les membres de la famille s’adaptent rapidement à leur nouvelle vie. Ils se font facilement des amis et s’intègrent à la collectivité.

Ruimar est responsable de la coordination de l’œuvre adventiste sur l’île. Margareth, elle, enseigne à l’école secondaire. Tous deux jouent un rôle très éducatif dans la vie des étudiants missionnaires qui travaillent à l’école, et ils les invitent souvent chez eux. Margareth aime beaucoup cuisiner et recevoir de grands groupes de personnes de l’église.

Leur maison se trouve à l’extérieur de la ville, sur la route menant à l’école secondaire. La seule autre maison à proximité appartient au directeur de l’école. Comme elle est en pleine rénovation, personne n’y habite. Chaque jour, de nombreux ouvriers de la construction passent devant la maison des DePaiva pour se rendre au travail.

Melissa adore la fête de Noël ! Le 21 décembre, images, sons et arômes remplissent la maison à souhait. Le sapin est décoré depuis quelques jours déjà. En soirée, on dépose des tas de cadeaux sous ses branches – pas seulement pour Melissa et Larisson, son frère aîné, mais aussi pour les étudiants missionnaires. Margareth s’est mise à ses fourneaux bien à l’avance, car de nombreux invités se joindront à eux pour Noël. La bonne odeur des pains et des pâtisseries fraîchement sortis du four se répand dans toute la maison. Quant au frigo, eh bien, il est rempli de plats brésiliens absolument délicieux.

Ruimar est rentré de Guam où il a participé à des réunions. Pianiste accompli, il s’installe au piano après le repas et l’air s’emplit de belles mélodies de Noël. Margareth joue à un jeu de société avec Melissa et Larisson avant de les envoyer au lit. Demain, Ruimar et Margareth célébreront leur 15e anniversaire de mariage. Melissa dit à ses parents qu’elle leur offre un cadeau : dormir avec eux ! (À ce souvenir, elle sourit.) Ils la bordent tendrement dans leur lit, et son père chante pour l’endormir. Il va ensuite mettre la dernière main à un projet, puis se met au lit à son tour.

Une attaque nocturne

Cette nuit-là, vers trois heures du matin, un intrus se glisse dans leur maison par la fenêtre de la cuisine. C’est l’un des ouvriers de la construction qui rénovent la maison du directeur. Melissa se réveille. Ses parents ne sont pas dans le lit. Soudain, elle entend un bruit terrible dans le couloir.

Dans les minutes qui suivent, l’homme assassine ses parents et son frère. Ensuite, il saisit Melissa, la ligote, et la dépose dans le coffre de sa voiture. Il lui dit qu’elle est désormais sa propriété. Le lendemain, il la laisse seule dans la maison pendant qu’il va travailler. Mais à son retour, craignant d’être découvert, il l’emmène dans un coin reculé de l’île, l’étrangle et la jette dans un ravin.

Après avoir été laissée pour morte, Melissa reprend conscience et rampe jusqu’au bord de la route. Affaiblie par ces événements traumatisants et par le manque de nourriture et d’eau, elle n’arrive pas à se tenir debout. Un couple de personnes âgées qui passent par là l’aperçoivent. Ils la ramènent chez eux et lui donnent à manger et à boire. Après avoir entendu son histoire, ils la conduisent au poste de police, et ensuite à l’hôpital. En peu de temps, la nouvelle de la survie de Melissa parvient à la reine, laquelle est membre de l’Église adventiste de Koror. Elle se rend immédiatement au chevet de la petite. Elle l’assure de son amour, de sa présence, et de sa protection jusqu’à ce que sa grand-mère arrive.

La nouvelle du meurtre de cette famille missionnaire fait le tour du monde – trois cercueils ; honte et remords des habitants des Palaos à l’annonce de ce crime perpétré dans leur propre pays ; excuses publiques du président. La reine assiste aux funérailles nationales.

La vie reprend son cours

Itamar et Ruth DePaiva – les grands-parents paternels de Melissa – savent combien Melissa a besoin d’un sentiment d’appartenance familiale. Par conséquent, ils ramènent leur petite-fille au Michigan (États-Unis), là où elle habitait avec sa famille avant de déménager aux Palaos.

Les parents de sa mère, le pasteur José Ottoni et Marina, sa femme, partent du Brésil et demeurent plusieurs mois auprès de leur petite-fille. Melissa comprend qu’elle ne pourra pas continuer à vivre aux Palaos. Mais en même temps, elle ne veut pas quitter sa demeure dans ce pays. Elle prend alors la décision d’y revenir un jour.

Un an et demi plus tard, Itamar et Ruth déménagent au Texas. Melissa y termine ses études primaires, ses études secondaires, puis obtient son diplôme d’études supérieures. En juillet 2016, elle épouse Michael Gibson. Elle obtient son diplôme en soins infirmiers à l’Université adventiste Southwestern, et Michael, lui, son diplôme en théologie. Quelques semaines après leur mariage, ils déménagent à Berrien Springs, au Michigan. Michael étudie au Séminaire de théologie de l’Université Andrews, et Melissa travaille en tant qu’infirmière.

Un cœur qui change en prison

Quelques mois avant le mariage de Melissa et Michael, j’ai le privilège de rencontrer le pasteur Tiago Cunha et sa femme Claudia en Thaïlande, lors d’une formation missionnaire interculturelle. Originaire du Portugal, le pasteur Cunha est alors pasteur en chef de l’Église adventiste de Koror, aux Palaos. Peu après avoir commencé son ministère dans cette église, il s’est senti poussé à participer au Ministère envers les prisonniers – un ministère de l’église de Koror que le père même de Melissa avait lancé.

Peu de temps après sa première visite à la prison, Tiago rencontre Justin – l’homme qui avait assassiné la famille DePaiva. Ce criminel endurci purge trois peines de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle. Néanmoins, il est clair que Dieu travaille dans son cœur. Quinze ans plus tôt, Ruth DePaiva lui avait rendu visite en prison. « À cause de Jésus, je veux que tu saches que nous te pardonnons, lui a-t-elle dit. Nous voulons te voir un jour au ciel avec notre fils, notre belle-fille et notre petit-fils. »

Au cours des années qui suivent, Justin ne cesse de repenser à ces paroles de Ruth. Et le Saint-Esprit les utilise pour entrer dans son cœur. Les grands-parents de Melissa prient pour Justin et lui envoient des livres chrétiens. Il les lit tous, et grâce à eux, sa vie se met à changer.

Lors des réunions en Thaïlande, le pasteur Cunha me dit qu’il a étudié la Bible avec Justin. Le cœur repentant, celui-ci a confessé le crime qu’il a commis lors de cette nuit fatidique. « Il sera bientôt prêt pour le baptême », me dit le pasteur Cunha. Plus tard, lorsque le baptême a lieu, je transmets personnellement la nouvelle à Melissa.

Sachant que la jeune femme désire toujours retourner aux Palaos, je fais venir en 2018 le pasteur Cunha et sa famille au Michigan pour qu’ils rencontrent Melissa et son mari, et pour commencer à planifier leur voyage aux Palaos.

Le pasteur Cunha informe Melissa que son retour est important pour les habitants des Palaos. Le baptême de Justin, explique-t-il, a réveillé chez de nombreuses personnes le souvenir du crime de cet homme sur leur île. Par conséquent, Melissa reviendra non seulement en tant que visiteuse, mais aussi en tant que missionnaire. Elle et Michael tiendront une semaine de prière à l’église où le père de Melissa a été pasteur.

Itamar et Ruth DePaiva prévoient également être du voyage. Maintenant octogénaires, ils viennent juste de rentrer de leur service missionnaire à Taïwan. Ruth se remet d’une fracture de la hanche et devra subir une deuxième opération pour remédier aux douloureuses complications de la première. Cela suscite des inquiétudes quant à la façon dont elle se rétablit et à sa capacité à voyager. Loren, mon mari, a été le médecin de Ruth et d’Itamar pendant de nombreuses années. Notre décision est prise : Loren et moi les accompagnerons pour leur apporter le soutien physique et émotionnel dont ils auront besoin.

Un parcours vers la guérison

Nous partons pour les Palaos à la fin de novembre 2018. Nous choisissons d’abord de nous arrêter à Guam, car la communauté adventiste de l’endroit avait été fortement ébranlée par ce qui s’était passé aux Palaos. Pendant notre séjour, Melissa, Ruth et moi participons à un séminaire sur le pouvoir du pardon et sur la capacité de Dieu de guérir. De nombreux membres d’église sont touchés par les témoignages de Melissa et de Ruth. Alors que Ruth parle de la liberté dont elle et sa famille ont fait l’expérience après avoir choisi de pardonner à Justin, une femme se lève. « Ce genre de pardon semble impossible pour la plupart des gens, lance-t-elle. Comment apprend-on à pardon- ner comme on a été pardonné ? »

« D’une perspective humaine, c’est impossible, répond Ruth. Le but, ce n’est pas d’“essayer” de pardonner, mais plutôt d’ouvrir notre cœur à l’Esprit de Dieu et lui permettre de pardonner à travers nous. »

Un accueil royal aux Palaos

Dimanche soir, nous quittons Guam et nous rendons aux Palaos. À l’aéroport, Melissa est accueillie par des gens que sa famille avait appris à aimer pendant son séjour aux Palaos. Alors qu’ils glissent un collier de fleurs fraîches autour de son cou, la jeune femme ne peut retenir ses larmes.

Parmi ceux qui sont venus la saluer se trouve la reine Bilung Gloria Salii. C’est elle qui a organisé la réception. En 2003, elle avait apporté à Melissa son soutien affectueux au moment où elle en avait le plus besoin.

Renouer avec le passé

La reine et d’autres amis proches ont soigneu- sement planifié des réunions et des événements auxquels Melissa pourra assister et qui seront significatifs pour elle. À l’une des réunions, elle rencontre Tommy Remengesau, président des Palaos, lequel avait pris la parole aux funérailles de la famille DePaiva. Il dit à Melissa que sa vie et son retour aux Palaos sont le plus grand sermon jamais prêché dans son pays sur le pouvoir du pardon et sur la puissance guérissante de la grâce divine.

La reine fait visiter l’île à Melissa et à Michael, puis les amène chez elle. Elle les conduit aussi au ravin où Melissa a été étranglée et abandonnée. En 2003, elle avait commémoré le miracle de la survie de Melissa en plantant deux cocotiers à l’endroit où on l’avait trouvée. Le fait d’être amenée en ce lieu par la reine et le fait de voir les magnifiques cocotiers avec Michael, confie Melissa, signifie beaucoup pour elle.

Alors qu’elle renoue avec tant de personnes et de lieux qu’elle avait aimés, Melissa se sent très émue. Mais elle rencontre aussi des gens et visite des lieux qui lui font revivre les événements tragiques du passé.

Elle se rend à la maison où sa famille avait vécu et perdu la vie. La dernière fois qu’elle s’y trouvait, elle avait 10 ans. Elle y entre maintenant avec son mari à ses côtés. Elle pleure, mais en même temps, son cœur est rempli de gratitude pour tout ce que Dieu a fait pour elle et pour le fait qu’un jour, elle reverra ses parents et son frère.

Un partage qui restaure

Avant d’arriver aux Palaos, Melissa n’était pas sûre de vouloir partager sa douloureuse expérience d’enfance. Cependant, chaque soir, au fur et à mesure qu’elle sent l’amour et le soutien des habitants, elle partage toujours un peu plus son histoire. Un soir, après que Michael ait prêché un sermon sur la confiance, Melissa raconte que le jour où Justin l’a enfermée dans la maison, elle n’était pas seule. Comme Daniel dans la fosse aux lions ou les trois Hébreux dans la fournaise ardente, Jésus était avec elle. Elle a senti sa présence, et cela lui a apporté la paix et le calme.

Lorsqu’on lui demande comment elle a fait pour concilier la présence divine avec tout ce qui est arrivé à sa famille et à elle, Melissa reconnaît que c’est l’une des questions les plus difficiles que l’on puisse poser à un chrétien. Alors que nous vivons dans un monde où le péché et la mort règnent, dans un monde où se livre en permanence une bataille entre les forces du bien et celles du mal, elle dit qu’il y a trois réponses possibles à cette question.

Premièrement, Dieu permet certaines choses qu’il tourne en plus grand bien pour nous. Deu- xièmement, il les tourne en plus grand bien pour quelqu’un d’autre. Troisièmement, certaines choses se produisent pour des raisons qui dépassent notre compréhension. S’il nous est impossible dans notre finitude humaine de comprendre pourquoi elles se produisent, en revanche, nous pouvons croire que Dieu a néanmoins un plan pour nous. De par son expérience personnelle, Melissa dit qu’en dépit de tout ce qui s’est produit, Dieu a pourvu à ses besoins, et l’a protégée physiquement et émotionnellement de l’impact à long terme de ces événements traumatisants.

Lors de notre dernier après-midi de sabbat aux Palaos, Melissa participe à une réunion spéciale ayant pour sujet la façon dont Dieu est particulièrement proche de ceux qui souffrent. En entendant une partie de son histoire, de nombreux membres de la congrégation sont édifiés par la grâce de Dieu envers Melissa et par la façon dont il l’utilise, elle, ainsi que ses grands-parents, pour insuffler la foi à d’autres.

Un face à face avec le meurtrier

La grâce de Dieu est une force puissante de guérison – une force qui restaure ce qui est perdu et brisé. Il y a maintenant deux ans que Justin a donné son cœur à Jésus et a été baptisé. Depuis, il partage librement son témoignage avec tous ceux qui, en prison, veulent l’écouter. Sa vie est un témoignage de la puissance salutaire de la croix. Ce témoignage amène deux autres prisonniers à établir une relation avec Jésus. Justin construit une cuve baptismale dans la prison, et on l’utilise pour baptiser les deux néophytes.

Bien que Justin ait écrit des lettres d’excuses à Melissa et à ses grands-parents avant son baptême, il espère qu’un jour il pourra s’excuser en personne et les remercier pour leurs livres et leurs prières. Avant d’arriver aux Palaos, Melissa refusait de rendre visite à Justin. Mais à son arrivée, elle a senti de plus en plus le désir de rendre visite à cet homme que Dieu a transformé. Après la réunion du sabbat après-midi, nous nous rendons en petit groupe à la prison.

La suite tient presque du surréalisme. Nous entrons dans la salle réservée pour notre rencontre avec Justin. L’homme qui a assassiné sa famille est là, derrière la table, les mains dans le dos. Il parle le premier. Il exprime son profond remords pour ses actes, son désir de voir Ruimar, Margareth et Larisson au ciel et de leur demander personnelle- ment pardon pour son crime. Il exprime son amour pour le Sauveur et son désir d’être fidèle à son appel tant qu’il vivra.

Ruth prend ensuite la parole. Elle lui rappelle leur rencontre 15 ans plus tôt. Reconnaissante de ce qu’il a accepté Jésus, elle l’encourage à poursuivre son étude de la Bible et à approfondir sa relation avec le Seigneur. Itamar parle à son tour. Comme un vrai pasteur, il encourage Justin à continuer sa marche avec Dieu.

Melissa décide de parler – ce qui n’était pas planifié au départ. Le visage inondé de larmes, elle dit : « Justin, nous sommes tous les mêmes aux yeux de Dieu. Nous ne sommes pas meilleurs que toi. Nous avons tous besoin de la grâce de Dieu dans nos vies. Je veux te voir au ciel un jour avec mes parents et mon frère. »

Ce jour-là, nous sommes témoins de la puissance transformatrice du Saint-Esprit sur une vie que l’ennemi de nos âmes a revendiquée comme étant sienne. Bien que Justin ait à passer le reste de sa vie en prison, c’est un homme libre – un témoin de la puissance de l’Évangile pour nous tous.

Au cours de cette visite mémorable, Melissa dit une vérité profonde non seulement à Justin, mais aussi à chacun d’entre nous. Il est facile de constater que Justin a besoin d’un sauveur et de s’émerveiller de ce que Dieu peut transformer et sauver un être comme lui. Il est facile de penser que nos péchés ne sont pas si mauvais que ça. Mais pour Melissa, nous sommes tous des pécheurs aux yeux de Dieu. Nous avons tous également besoin d’un sauveur.

La capacité de Dieu à nous sauver est tout aussi miraculeuse que sa capacité à sauver Justin. Tout le ciel se réjouit lorsque quiconque parmi nous vient à Jésus. Louons-le tous pour son merveilleux don du salut, ainsi que pour sa vie et sa mort en faveur de Justin, de Melissa, et de chacun de nous !


Adaptation de l’histoire originale « Le retour aux Palaos », avec la permission d’Ann Hamel. Pour une lecture intégrale, consultez le site https://www.adventistmission.org/return-to-palau-a-journey-of- healing-and-restoration.

Pour regarder l’entrevue du pasteur Ted Wilson avec Melissa, consultez le site https://www.hopetv.org/shows/revivalformission/episode/ml/-/from-trauma-to-healing/.