Quand les sons proclament la gloire de Die

Méditations spirituelles 01/06/2023

Par Sebastian Felea | Signs of Times

L’année 1685 a donné au monde deux de ses plus grands compositeurs : Jean-Sébastien Bach et George Friedrich Haendel. La présence des grands sujets bibliques dans leurs chefs-d’œuvre a non seulement rempli de joie le cœur des croyants, mais a également déterminé une nouvelle direction dans l’évolution du langage musical, qui continue à avoir un impact jusqu’à aujourd’hui.

Près de deux siècles avant la naissance des deux compositeurs, la Réforme a exercé une nette influence sur le caractère et le rôle du langage musical. Avant Luther, la musique d’église était de plus en plus dépouillée de son caractère sacré, au profit de la somptuosité et de l’apparat débridé. De grandes sommes d’argent étaient consacrées à l’achat d’instruments et à la rémunération de musiciens professionnels. La fête et la danse envahissaient les services liturgiques et il était courant que le chant des psaumes soit “égayé” par l’alcool dans les monastères.

Face à cette situation, Luther, lui-même compositeur, promeut un chant choral caractérisé par la simplicité. Bach et Haendel disposaient de nombreuses œuvres de ce type, dont ils ont développé la beauté et la cohérence dans leurs créations.

Fragments d’éternité…

Vivant à la même époque, Bach et Haendel ont toujours été comparés l’un à l’autre. Bien que tous deux aient proposé des créations monumentales, la complexité de la musique de Bach pénètre des profondeurs rarement atteintes par l’expansivité jubilatoire de Haendel. Le premier s’est davantage consacré à la musique d’église, tandis que le second a composé de la musique plus profane. Bien entendu, les auditeurs moins familiers avec la pensée compositionnelle de Bach trouveront l’œuvre de Haendel plus accessible.

L’un des éléments les plus profonds de l’être humain, que l’on retrouve dans la création de Bach, est la tension permanente entre “ce que je veux et ce que je dois”. L’alternance de préludes et de fugues est une manière d’illustrer l’idéal de tendre vers l’accomplissement complet de la volonté divine, sans rien perdre de l’exubérance et de la fantaisie innocente de la vie quotidienne. Bach est le premier compositeur à traduire cet équilibre en musique, et c’est ainsi que le visage du Sauveur est présenté dans ses œuvres. Par exemple, dans la “Passion selon saint Matthieu”, l’agonie de Jésus est exprimée avec une grande générosité lyrique. Cependant, ces souffrances n’ébranlent pas la dignité du sacrifié et son amour pour l’humanité.

En revanche, dans “Le Messie”, son oratorio le plus célèbre, habité par un esprit de triomphe digne d’être célébré, Haendel met en scène Jésus-Christ au-delà des souffrances endurées pour le salut de l’humanité, laissant entrevoir la finalité heureuse de l’accomplissement de sa mission.

Du vivant de Haendel, l’oratorio a été joué au profit de diverses institutions caritatives. La dernière occasion de ce type, à Londres, une semaine avant la mort du compositeur, était au profit d’orphelins. La puissance dramatique et expressive de cette œuvre la place aux côtés des “Passions” de Bach comme un monument de la création musicale sacrée.

…confiée aux mortels…

La haute spiritualité de l’œuvre de Bach est très souvent associée à la forte foi de celui qui fut surnommé le “cinquième évangéliste”[1] Leonard Bernstein affirme que toute la création de Bach est religieuse, chaque note étant dédiée à Dieu[2] Son œuvre est essentiellement christocentrique. La Bible et les livres de théologie contenus dans sa bibliothèque, avec ses notes et annotations personnelles, témoignent de sa soif de connaissance du divin. Néanmoins, les descriptions faites par ses contemporains ne le décrivent pas comme un ascète, mais comme un homme ordinaire, qui aimait être parmi les gens. Cependant, lorsque sa vision musicale entra en conflit avec celle des puritains d’Arnstadt et des piétistes de Mühlhausen, il quitta le poste en des termes peu amènes. Plus tard, son insistance à se rendre à Coethen lui valut un mois de prison.

Contrairement à Bach, Haendel n’est pas né dans une famille de musiciens. Sa famille a néanmoins créé les conditions de son épanouissement dans le milieu de la cour, où il s’est fait remarquer à la fois par son talent musical et par l’aisance avec laquelle il charmait les gens. Mais les situations conflictuelles ne lui échappent pas non plus. Un an après avoir posé sa candidature avec son ami Mattheson pour le même poste à Lübeck, ils se battent en duel et se retrouvent tous deux avec des blessures assez graves.

Bach et Haendel sont tous deux nés sur le territoire allemand, mais ils ne se sont jamais rencontrés. Ils avaient tous deux une telle envergure de bras qu’ils pouvaient tenir un intervalle duodécimal à l’orgue. Ils sont tous deux devenus aveugles à la fin de leur vie et ont fini par être soignés par le même médecin, qui n’était pas très chanceux. Ana Magdalena Bach raconte que son mari a retrouvé la vue quelques instants, comme un cadeau divin, avant de quitter ce monde[3].

…de cette époque et des époques suivantes

Si l’œuvre de Haendel a été mieux accueillie de son vivant, Bach n’a pas bénéficié d’une admiration unanime, comme c’est le cas aujourd’hui. Même les communautés protestantes qu’il a servies ont manifesté leurs réserves face à la liberté d’improvisation qu’il apportait au culte. Pourtant, Bach n’a pas innové par ambition révolutionnaire, et sa création n’est pas confessionnelle, mais porteuse du message universel du salut. Sans leur contribution, la musique d’église et la musique profane auraient connu un déclin majeur. Les modèles établis avant eux se transformaient progressivement soit en formules dépourvues de la substance du rituel liturgique, soit en manifestations de paresse. Sans Bach et Haendel, le préclassicisme aurait amplifié les tendances à exploiter ce qu’il y a de trop humain dans l’homme, perdant les fragments d’éternité confiés aux mortels de l’époque et des époques suivantes.


Notes de bas de page

[1]”Paul Hofreiter, “Johann Sebastian Bach and Scripture” dans “Concordia Theological Quarterly”, vol. 59, pp. 1, 2, 70″.
[2]”Leonard Bernstein, “The Joy of Music”, New York, Simon and Schuster, 1959, p. 264″.
[3]”George Bălan, “Misterul Bach”, (Le mystère Bach) București, Florile Dalbe Publishing House, 1997, p. 185.”