Précarité menstruelle

Méditations spirituelles 29/07/2021

ADRA France | Trait d’Union N. 57, p. 18-20

« Précarité menstruelle », une expression pour le moins nouvelle dans notre actualité ! Que veut-elle dire ? D’après le journal l’Express,* deux millions de femmes (SDF, étudiantes, détenues) souffrent de précarité menstruelle. Autrement dit, elles n’ont pas les moyens d’acheter les protections périodiques nécessaires pendant leur menstruation. Et l’Express de développer : « Au cours de sa vie, si on met bout à bout tous les cycles, une femme aura ses règles en moyenne pendant six ans. Elle utilisera près de 11 000 protections jetables pour un budget estimé de 8 000 euros, une somme qui comprend aussi l’achat de sous-vêtements de rechange ou d’antidouleurs ». Une grosse dépense pour celles qui sont sans ressources comme pour les faibles revenus.

Le coût des protections n’est pas l’unique problème. Je me souviens quand j’étais jeune fille, une amie m’a donné le code que ses camarades employaient pour parler de leurs règles : « J’ai mal… aux oreilles ! »

Et encore maintenant en ce début de 21e siècle, le sujet des menstrues reste souvent tabou. Les jeunes filles en milieu scolaire s’en cachent devant les garçons dont elles craignent les moqueries. Plus grave encore, comme l’explique à un groupe d’élèves de seconde, Tara Heuzé-Sarmini, directrice générale de l’association Règles élémentaires : « Dans notre pays, on estime que 130 000 jeunes filles manquent l’école chaque année ». Elle a fondé sa structure pour, explique-telle : « collecter un maximum de produits d’hygiène intime pour les redistribuer gratuitement aux plus démunies et briser le tabou des règles ».

Et si en France, pays nanti où est prônée une bonne éducation, des milliers de femmes ne peuvent payer leurs serviettes hygiéniques et parlent à mots couverts du signe de leur identité, qu’en est-il de la précarité menstruelle dans d’autres pays ?

L’Inde mystérieuse, avec son plus de 1 300 000 d’habitants, multiethnique, multilinguistique, multiculturelle et ses grandes disparités sociales, n’échappe pas à la règle. ADRA, active en Inde depuis 20 ans, vient d’y initier un projet tout à fait innovateur dans un état du nord-est de l’Inde, au pied de l’Himalaya, l’Assam.

L’Assam est célèbre pour son thé au goût raffiné. Ce thé se cultive dans de vastes plantations d’un magnifique vert lumineux. Mais ne nous y trompons pas ! Cette beauté de la nature cache des réalités humaines trop souvent douloureuses. La main d’œuvre pour la cueillette des feuilles est pour la moitié composée de femmes de tous âges appartenant aux ethnies présentes avant les migrations forcées de l’époque coloniale britannique. Elles sont sous payées avec un salaire de 2 $/jour. Les ouvriers, femmes et hommes, des plantations y travaillent, pour bon nombre, depuis des générations et ils n’ont pas d’autres moyens de subsistance.

La population féminine vit dans de mauvaises conditions socio-économiques avec surpeuplement et manque d’hygiène des lieux de vie avec pour conséquence un état de vulnérabilité. Plus de la moitié des adultes est analphabète et seulement la moitié des adolescents fréquente le niveau secondaire. Ce qui entraine une éducation sanitaire minimale, voire absente. Les écoles manquent souvent de toilettes ou de latrines bien tenues avec insuffisance en eau et sans intimité pour les jeunes filles. C’est sur ce dernier point qu’ADRA India s’est particulièrement penchée car les enquêtes menées ont montré une forte tendance à l’absentéisme et même à l’abandon scolaire des filles en raison des mauvaises conditions sanitaires des écoles et de la honte attachée aux menstruations. Ces mêmes enquêtes ont révélé que plus de 32% des filles utilisaient de simples chiffons en guise de protections périodiques et même plus de 2% n’en portaient aucune !

Les jeunes filles interrogées ont déclaré que les périodes menstruelles interfèrent avec leur possibilité de se concentrer ou de penser clairement. Elles sont si embarrassées qu’elles n’osent pas aller dans les boutiques pour demander d’acheter des protections. De plus ces protections sont trop chères quand elles sont de bonne qualité et encore trop onéreuses – et de mauvaise qualité – quand elles sont vendues en lot de 20.

Des chercheurs ont indiqué que la fréquentation scolaire des filles et l’autonomisation des femmes pouvaient augmenter si simplement on améliorait les conditions sanitaires de base relatives aux menstrues comme des toilettes réservées aux filles, l’accès facile à l’eau et à des protections et des contenants pour l’élimination des déchets.

Devant ces constatations, ADRA India a répondu à la question : «que faire contre la précarité menstruelle ?» par un projet appelé Nouvel Espoir pour les femme. Celui-ci possède deux volets : éducation à l’hygiène menstruelle et accès à des protections périodiques de qualité et d’un prix abordable pour les petites bourses. Le projet cible deux régions couvrant 60 plantations. Des séances de sensibilisation à l’hygiène menstruelle ont été organisées sous plusieurs formes. Des enseignants sont enrôlés dans le programme. Ils ont besoin d’être parties prenantes car la grande majorité d’entre eux ne parlent pas de santé avec leurs élèves. Les adolescentes des clubs dans les écoles appellent à lever le tabou des règles et aux pratiques d’hygiène autour des menstruations par des activités ludiques. Des jeunes femmes et des adolescentes réparties par groupe se réunissent pendant presqu’une année autour du thème. Deux unités mobiles s’installent sur la place du marché deux fois par semaine avec de courts vidéo-clips pour atteindre un large public pendant un an. Une gynécologue les accompagne pour des conseils et des soins gratuits aux jeunes femmes qui se présenteraient avec la possibilité de se procurer des protections périodiques du projet.

En effet, Nouvel Espoir pour les femmes a voulu aller plus loin pour un impact concret qui s’avère être innovant : la fabrication de protections périodiques de qualité, à 90 % biodégradables et à un prix abordable, très bas (0,14 € / pour 6 pièces soit 8 % du salaire journalier). Ce projet ouvre pour des femmes un moyen de subsistance décent supérieur à celui des plantations de thé. La machine à fabriquer les protections est la réalisation d’un Indien surnommé Padman. Elle emploiera 5 à 10 femmes qui produiront 2 000 tampons/jour et 50 000/ mois. Ils seront commercialisés par 30 femmes. On compte que 30 000 femmes d’âge de procréer pourront en être bénéficiaires.


Evelyne Nielsen D’après les informations du projet Fresh Hope for Women (2020-2021) conçu et réalisé par ADRA India Informations transmises par M.-Jo Guth, d’ADRA International *“Ni sale ni secret”: au lycée, des ateliers pour “dédramatiser” les règles – L’Express, du 06.03.2021


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