« Pourquoi caches­ tu ta face ? » : comprendre l’ absence apparente de Dieu dans notre vie spirituelle

Méditations spirituelles 05/09/2021

Par Dragoslava Santrac | Revue Ministry, 1er trimestre 2017 pp. 29-31

L a spiritualité biblique est souvent décrite comme une marche in- time avec Dieu, la communion avec Dieu, et la connaissance du caractère et de la volonté de Dieu, ce qui conduit à une vie de justice (Gn 5.24; 6.9; 1R 3.3; Es 38.3). Dieu agit pour ceux qui l’invoquent et demeure avec eux (Ps 118.5; Es 55.6; Jn 15.1-10). Les Écritures1 nous donnent de nombreux exemples de la proximité de Dieu culminant dans l’incarnation du Christ (Mt 1.23; Jn 17.21) et dans l’œuvre du Saint-Esprit (Jn 14.26; 1 Co 6.19).

Cependant, l’un des plus grands défis spirituels auquel les croyants sont confrontés est le sentiment de l’absence de Dieu (Ps 22.2; 51.13; Es 63.11-19; Jl 2.17). Bien que l’absence de Dieu soit loin d’être une absence totale (et serait donc mieux décrite comme une « absence apparente »), dans cet article j’utilise le terme « absence » pour souligner la façon dont certaines personnes la perçoivent, et non pour transmettre une vérité théologique.

Tout comme la présence divine, l’absence divine s’exprime de différentes façons. Je vais tenter d’élucider certains aspects de l’« absence » de Dieu, principalement telle qu’elle est vécue dans la vie personnelle. Je crois que pour les personnes comme les pasteurs, qui cherchent à répondre aux expériences et préoccupations religieuses des gens, il est important de porter attention au sujet de l’absence de Dieu.

L’absence de Dieu dans l’expérience des personnes pieuses

Parfois, les adorateurs de Dieu, et même leurs ennemis, se demandent : où est Dieu ? (Jb 35.10; Ps 42.4,11; 79.10) On se pose souvent la question : Pourquoi Dieu cache-t-il sa face ? 2 Les fidèles répondent à l’apparente absence de Dieu en se lamentant (Ps 22.2; 27.9; 30.8). L’absence de Dieu est ressentie comme une soif intense dans une terre desséchée (Ps 41.2,3; 63.2) ou comme l’abandon et l’angoisse mortelle sans fin (Jb 17.15; 23.3; Ps 6.3,4; 102.2-8; Lm 5.20-22). Les paroles de Jésus sur la croix : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Mt 27.46) 3, nous donnent juste un aperçu de la froideur et des ténèbres qui entouraient Jésus quand il était privé de la présence de son Père.

Joseph B. Soloveitchik, un philosophe juif moderne, écrit qu’un croyant « oscille entre l’extase quand il se trouve en compagnie de Dieu et le désespoir quand il se sent abandonné de Dieu ». Il ajoute qu’il est tourmenté par « la dichotomie incroyable de l’implication de Dieu dans le drame de la création, et le fait qu’il est d’une part exalté au-dessus de ce drame et d’autre part qu’il en est éloigné.» 4 L’expérience de « l’homme de foi solitaire » de Soloveithchik est partagée par les croyants qui disent ne pas parvenir à sentir la présence de Dieu en tout temps. Je ne parle pas ici de l’unité avec
la nature divine, ou de l’expérience du divin en nous, mais du sentiment d’être connecté avec Dieu, vécu parfois comme l’expérience exceptionnelle du toucher de Dieu.5 Il se peut que les périodes de dépressions de Martin Luther reflètent en partie le conflit constant entre le sentiment d’abandon par Dieu et l’extase que produit sa grâce imméritée.6 Mère Teresa a confessé que pendant près d’un demi-siècle, elle n’arrivait pas à sentir la présence de Dieu dans son cœur. Elle écrit : « Ne pensez pas que ma vie spirituelle est parsemée de roses, je ne retrouve pratiquement jamais cette fleur sur mon chemin. Bien au contraire, mes compagnons sont bien plus souvent “ les ténèbres ”. » 7 Pour elle, « les ténèbres » étaient « une apparente absence de Dieu de sa vie, et en même temps, un ardent désir de lui. » 8

Je n’ai pas l’intention d’évaluer les éventuelles influences exercées sur les expériences religieuses des gens, ni de suggérer qu’elles ont toutes un même arrière-plan. Je fais simplement remarquer que des croyants de tous les temps et de toutes les religions ont vécu certaines expériences de désolation spirituelle.

L’absence de Dieu en réponse au péché humain La séparation d’avec Dieu est la conséquence du péché ; c’est donc une expérience humaine courante (Dt 31.18; Es 59.2; Rm 3.23). Dans les Écritures, cette expérience s’exprime souvent sous forme de confessions des péchés et de culpabilité (Ps 51.11,13; 89.39-53; Lm 5.7,16). En même temps, la confession et l’abandon du péché conduisent au renouvellement de la relation avec Dieu (Ps 32; Jr 31.34).

David C. Steinmetz remarque que la lutte pour la sainteté ressemble, à certains égards, au conte de la princesse et du petit pois. La royauté, contrairement à d’autres personnes, est soi-disant si sensible à tout objet étranger qu’une vraie princesse peut remarquer un petit pois même s’il est placé sous son matelas. De la même manière, les vrais saints manifestent une plus grande sensibilité en présence du plus petit péché. Pourtant, D. Steinmetz prétend que «l’effet malheureux de cette sensibilité, c’est que le véritable progrès dans la vie spirituelle d’un saint peut lui sembler comme n’étant pas du progrès, et qu’une foi solide puisse être ressentie comme de l’hypocrisie ou de l’incrédulité.»9 Les personnes qui éprouvent le sentiment d’être abandonnées par Dieu, à cause de la culpabilité et de la peur, devraient être encouragées à se souvenir que la sainteté est un don que Dieu veut leur offrir et non un don qu’elles offrent à Dieu. La paix et l’assurance du salut viennent avec l’acceptation de la grâce de Dieu (Ps 31.1,2; Rm 5.1,2).

L’absence de Dieu et la transcendance de Dieu

Les croyants semblent être enclins à considérer Dieu soit comme transcendant, saint et distant, soit comme immanent, aimant et intime. Concrètement, cela se traduit par la tendance à accorder une plus grande importance à la pratique religieuse extérieure ou au contraire à la spiritualité intérieure. Deborah L. Geweke fait valoir à juste titre qu’« une expérience orientée vers une intégration à la fois légale et mystique offre un contexte commun pour une expérience spirituelle qui reflète une intégration ecclésiale entre l’identité et la pertinence, la religion et la spiritualité, la liturgie et la vie.» 10

Les expériences de la présence et de l’absence divines ne s’excluent pas toujours mutuellement. L’Église apostolique a connu Dieu comme étant au-dessus de son peuple, mais aussi avec lui et en lui (Rm 8.11; Ep 4.4-6). La notion de proximité et d’éloignement de Dieu est communiquée, par exemple, par les épiphanies divines accompagnées de nuages et de feu qui impliquent à la fois une révélation de Dieu et le fait qu’il soit caché (Ex 13.21; 19.9,16-18). Certains sentiments personnels d’absence divine peuvent donc évoquer la transcendance et l’altérité de Dieu.

L’absence de Dieu et la présence insaisissable de Dieu

L’absence divine reflète la nature insaisissable de la présence divine. « Cependant, le fait que la présence divine soit insaisissable ne signifie pas qu’elle soit pour autant illusoire ou irréelle.» 11 Tout au contraire, ressentir fortement l’absence de Dieu peut rendre plus intense l’expérience de sa présence directe.

Ralph L. Underwood explique: « Les gens parlent d’une expérience de l’ab- sence de Dieu. Je suggère qu’une telle expérience est essentielle pour ressentir authentiquement la réalité de Dieu, car si pour nous Dieu est toujours présent, veillant toujours à notre bien-être, alors nous n’avons aucun fondement, du point de vue de nos expériences, pour distinguer Dieu de l’imaginaire ou de la réalisation de nos souhaits. Certes, un certain nombre de religions, le christianisme n’étant pas la moindre, enseignent que Dieu est présent en tout lieu et en tout temps. Cependant, je tiens à dire que cette croyance ne repose pas sur l’expérience subjective d’un Dieu toujours présent. Si c’était le cas, nous n’aurions pas une confiance inébranlable dans la véracité de notre affirmation, car une telle expérience ne se distingue pas de l’imaginaire.» 12

Les moments d’absence de Dieu aident parfois à clarifier les expériences passées de la présence immédiate de Dieu et à préparer les croyants à une nouvelle expérience (Ps 22; 42). Dans l’histoire, l’absence de Dieu en relation avec les exils indiquait clairement que le peuple avait perdu la présence divine, ce qui devait le motiver à rechercher Dieu avec une ferveur et une appréciation renouvelées (Ps 74; 79; Es 54.7).

La nature apparemment insaisissable de la présence divine sous-entend peut-être que la foi biblique implique autant l’incertitude et le suspense que la confiance et la conviction. Alors que nous avons confiance que Dieu s’est emparé de nous, nous savons pourtant que nous n’arrivons pas à nous emparer complètement de lui. Je peux donc affirmer avec confiance que le Seigneur est mon Dieu, tout en étant conscient, cependant, que Dieu n’est pas ma possession. La vie spirituelle est, par conséquent, un engagement que nous faisons dans la foi, l’espérance et l’amour (1 Co 13.12,13).

L’absence de Dieu et le silence de Dieu

L’absence de Dieu est appelée parfois le silence de Dieu, l’attitude apparemment distante de Dieu dans les moments de détresse des croyants (Ps 28.1; 29.13 ; 83.2). Le silence des idoles est la preuve de leur non-existence (Ps 115.5), mais le silence de Dieu est le signe de sa souveraineté et de sa capacité à répondre au moment et de la manière qu’il veut. Ainsi, « le visage du Dieu silencieux et caché est une forme de révélation. » 13 D’un point de vue historique, sous le règne du roi Achab, Dieu a brisé son silence après trois ans et six mois en envoyant le feu pour consumer le sacrifice d’Élie (1 R 18 ; Jc 5.17). Plus tard, il a été montré à Élie que la présence divine pouvait se manifester de manières inattendues, comme dans « un murmure doux et léger » (1 R 19.11-13, NEG ; comparer avec 1 R 18.37-39). Ekman P. C. Tam explique : « Nous devons veiller à ne pas céder à la tentation d’attendre de Dieu qu’il communique avec nous de la seule façon que nous favorisons. Il est important de nous souvenir que l’expérience du silence de Dieu n’est pas moins vraie ni moins bénie que l’expérience du toucher cha- rismatique de Dieu.»14

Dans l’Écriture, Dieu semble être présent dans le silence et nous parler par lui. Mais contrairement à certaines traditions mystiques,15 il n’est pas silence. En d’autres termes, le silence de Dieu ne sous-entend pas un Dieu du silence, mais il se termine par l’intervention divine qui précède souvent le jugement de Dieu (Ps 50.3, 21) et sa délivrance (Ps 62.2; Ez 29.21).Martin Luther a critiqué la théologie négative (le Via Negativa), qui encourageait à entrer dans le silence de Dieu comme dans un nuage d’ignorance et à perdre la conceptualisation de Dieu. Il affirmait que les croyants devaient se conformer à la révélation de Dieu en Christ sur la croix. 16 Dieu s’est révélé en Christ (Jn 1.18), et les croyants se tournent avec confiance vers cette vision de Dieu.

L’absence de Dieu et la présence invisible de Dieu

La vie de certains croyants, comme Joseph et Esther, démontre qu’en réalité l’apparente absence de Dieu est sa présence invisible qui œuvre « en coulisse ». Élisée a prié Dieu d’ouvrir les yeux du jeune homme pour qu’il voie que Dieu était avec son peuple (2 R 6.17). On nous rappelle qu’« aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, d’une manière confuse » et que nous connaissons partiellement (1 Co 13.12). « Nous espérons ce que nous ne voyons pas » (Rm 8.25). Pourtant, par la foi, qui est « la réalité de ce qu’on espère, l’attestation de choses qu’on ne voit pas » (He 11.1), les croyants peuvent demeurer dans l’assurance de la providence divine dans leurs vies.

Supporter l’absence de Dieu

L’apparente absence de Dieu nous rappelle de façon poignante que nous marchons par la foi et non par la vue. Si tout ce que nous avons est notre expérience, nous n’avons rien ; si nous avons l’inspiration de la vision de Dieu, nous avons plus que toutes les expériences que nous pouvons faire. Cela exige de la patience, de l’engagement et de l’humilité. Parfois, l’expérience du silence divin est destinée à nous habiliter à entrer dans une relation plus étroite avec Dieu en fortifiant notre anticipation pleine d’espoir d’une intimité renouvelée avec lui.

Le silence de Dieu nous apprend à renoncer à nos attentes et à nos exigences de ce que Dieu devrait faire pour nous et à construire notre relation avec lui sur la base de la foi et de la confiance. Mar- cher par la foi signifie ne pas céder aux doutes et aux sentiments de désolation, mais agir selon ses convictions.Bien que les croyants puissent parfois ressentir la proximité de Dieu de façon particulière, les sentiments ne sont pas l’ultime me- sure de la présence de Dieu.

L’appel adressé aux disciples du Christ à partager ses souffrances (Ga 6.17; Ph 3.10; 1 P 4.13) les oblige parfois à traverser des périodes de silence de Dieu comme celles que le Christ a connues (Mt 4.1-11; 26.36-45; 27.46). Nous nous rapprocherons ainsi de notre Seigneur qui soupirait après une union ininterrompue avec son Père et qui a pleuré pour le salut de l’humanité.

L’apparente absence de Dieu dans la vie personnelle peut conduire les croyants à recevoir le réconfort divin dans la communauté (Ps 22; 42; Ph 2.1). Dans le Psaume 73, son souci des enfants de Dieu (v. 15) conduit le psalmiste au sanctuaire ; là, une transformation remarquable se produit : au lieu de douter encore de la présence de Dieu (v. 1-13), il en jouit pleinement (v. 23,28).

Le sens de l’apparente absence de Dieu nous rappelle aussi que nous ne sommes pas encore complètement restaurés, mais que nous continuons à faire partie de ce monde corrompu (Ro 8.19- 26). Cette situation nous fait aspirer à ce « que le périssable revête l’impérissable, et que le mortel revête l’immortalité » (1 Co 15.53) et à une vie de communion incessante avec Dieu dans son royaume (Ap 21.3; 22).


1. Par exemple, la présence de Dieu est révélée lors de la création du monde (Es 40.28) et dans ses actions extraordinaires dans l’histoire du peuple d’Israël (Ps 78; 105), dans ses bénédictions présentes (Ps 4.3; 18.3) et ses promesses d’une prospérité future (Ez 43.7-9). Dieu a demeuré parmi son peuple dans le sanctuaire (Ex 25.8) et parlait avec ses serviteurs « face à face » (Gn 32.30; Ex 33.11).

2. Par exemple Jb 13.24; Ps 10.1; 13.2; 44.25; 88.15.

3. Les références bibliques sont tirées de la Nouvelle Bible Segond.

4. Joseph B. Soloveitchik, The Lonely Man of Faith. New York: Doubleday, 1992, 2e édition, p.2, 47, cité dans Simon Cooper, “Theological Proximity: The Quest for Intimacy with God,” in Jewish Theology in Our Time: Anew Generation Explores the Foundations & Future of Jewish Belief, ed.Rabi Elliot J.Cosgrove.Woodstock,VT: Jewish Lights, 2010, p.131.

5. Pour comprendre la distinction entre l’unité avec la nature divine et le fait d’être connecté avec le Christ,voir Scott Hendrix,“Martin Luther’s Reformation of Spirituality,” in Lutheran Quarterly 13 (1999), p.256-258.

6. Scott H. Hendrix, Martin Luther: Visionary Reformer. New Haven, CT : Yale University Press, 2015, p. 181, 261.

7. Mother Teresa, Mother Teresa: Come Be My Light; The Private Writings of the “Saint of Calcutta”, ed. Brian Kolodiejchuk. New York: Dou- bleday Religion, 2007, p.20.

8. Idem, p. 21, 22.

9. David C. Steinmetz, “Growing in Grace,” in Christian Century, 30 octobre 2007, p.10.

10. Deborah L. Geweke,“Ampersand Faith: Reintegrating Liturgy and Life through a Reappropriation of Mystical Theology and Praxis,” in Currents in Theology and Mission 38 (2010), p.258. Pour D. L. Geweke, le terme « mystique » est « cette partie des croyances [chrétiennes] qui concerne la préparation, la conscience, et la réaction à ce qui peut être décrit comme la présence immédiate de Dieu.» (Idem, p.259) Le terme « légal » se réfère à l’aspect légal de la justification. Idem, p.257-258.

11. Ralph L. Underwood,“The Presence and Ab- sence of God in Object Relational and Theological Perspectives,” in Journal of Psychology and Theo- logy 14 (1986), p.301.

12. Idem, p.302.

13. Paolo Torresan, “Silence in the Bible,” in Jewish Bile Quarterly 31 (2003), p.159.

14. Ekman P.C.Tam,“Silence of God and God of Silence,” in Asia Journal of Theology 16 (2002), p.159.

15. Idem, p. 157, 163.

16. Pour un aperçu de la critique de Luther sur la théologie négative du mystique, voir Paul Rorem,“Martin Luther’s Christocentric Critique of Pseudo-Dionysian Spirituality,” in Lutheran Quarterly 11 (1997), p.291-307.