Metropolis

Méditations spirituelles 23/03/2023

Par Andrei Eugen Lakatos | Signs of Times

L’aliénation urbaine est l’un des grands thèmes abordés de manière critique par de nombreux artistes.

La révolution industrielle [1] a entraîné une augmentation de l’importance accordée à la ville. Des villes industrielles, des métropoles et des agglomérations ont été créées pour accueillir l’industrie et les activités connexes. La révolution industrielle a été suivie presque immédiatement d’une pression démographique impressionnante dans les villes et d’un exode de la population villageoise, la société industrielle étant profondément urbaine.

La transformation idéologique et matérielle provoquée par la révolution industrielle a profondément affecté les structures sociales, économiques et culturelles de la civilisation occidentale, marquant un tournant majeur dans l’histoire de l’humanité. La modernité peut être comprise comme une « étape historique de la civilisation occidentale sur la base de laquelle on peut situer la révolution industrielle qui a apporté avec elle l’avancée technologique et le progrès de la science, ainsi que les mutations socio-économiques, qui sont des prérogatives du capitalisme… » dit Ciprian Lupşe [2].

La métropole dans l’art

« Metropolis », le photomontage réalisé en 1923 par l’artiste néerlandais Paul Citroën, est l’une de ses œuvres les plus connues. L’artiste s’est imaginé dans le rôle d’un architecte urbaniste, reconstruisant une ville imaginaire, composée des bâtiments emblématiques des grandes métropoles (gratte-ciel, tour Eiffel, galeries marchandes, etc.), qui mêle le passé au présent et au futur. L’œuvre est constituée de fragments de photographies représentant des bâtiments disposés sur toute la surface du tableau pour donner une impression d’accumulation et de chaos.

Les bâtiments choisis font directement référence à la période industrielle, à travers les nouveaux matériaux — béton, métal, verre — et à travers les réseaux de transports publics, qui sont autant de signes et de témoignages d’une société de consommation émergente. Le collage attire l’attention sur le fait que la ville, devenue métropole, a grandi en hauteur et en largeur, que ses bruits, ses mouvements et ses lumières se mélangent dans une agitation organisée, au milieu de laquelle les gens semblent non seulement perdus, mais aussi perdus de vue.

Le cinéaste austro-germano-américain Fritz Lang, représentant de l’expressionnisme allemand, s’est inspiré de l’œuvre de Paul Citroën pour réaliser en 1927 le film de science-fiction Metropolis (le film le plus cher de l’ère du muet dans l’histoire du cinéma). L’action du film se déroule dans une ville du futur, fortement divisée entre la classe ouvrière et les dirigeants de la ville, une société dystopique [3] dans laquelle les riches intellectuels mènent une vie de luxe, dirigeant la ville du haut de gigantesques gratte-ciel, et opprimant les travailleurs qui assurent essentiellement le fonctionnement de la ville, vivant dans les sous-sols insalubres des imposants bâtiments.

Le film suit Freder, le fils du seigneur de Metropolis, qui rencontre une jeune ouvrière, Maria, et est fasciné par elle. Freder descend des hauteurs, la suit dans le monde souterrain et est horrifié par les conditions de vie des ouvriers. La société de la ville futuriste imaginée par Lang semble être la projection d’un futur lointain (et indésirable), mais en même temps une allégorie du présent, dans un monde pris dans la course au profit et au confort égoïste.

La métropole dans l’architecture

Fritz Lang a avoué dans une interview que l’idée du film est née lorsqu’il a vu pour la première fois les gratte-ciel de New York en octobre 1924. Décrivant sa première impression de la ville, le réalisateur a comparé les bâtiments de métal et de verre à un luxueux décor de théâtre, éblouissant et hypnotisant, suspendu dans le ciel noir.

L’extérieur de la ville dans le film Metropolis est fortement influencé par le mouvement Art déco, un style éclectique qui, en architecture, est synonyme d’élégance et de charme, de fonctionnalité et de modernisme. Dans les années 1930, ce style a acquis une notoriété internationale, sa structure étant basée sur la symétrie, la monumentalité et les formes géométriques mathématiques, conséquence directe et expression matérielle de l’industrialisation et de l’évolution des nouvelles technologies.

L’architecture imaginée dans le film donne naissance à une ville qui se déploie verticalement, dans laquelle l’humain devient de plus en plus petit face au progrès technologique, les dimensions de la ville étant écrasantes. Les images du film présentent une agglomération urbaine stratifiée (mais aussi enchevêtrée), dominée par des bâtiments imposants, des automobiles, des trains passant d’un bâtiment à l’autre sur des ponts suspendus et des avions volant entre les gratte-ciel.

La vie dans les métropoles

Depuis le début duXXe siècle, le sociologue et philosophe allemand Georg Simmel [4] a observé que la base psychologique sur laquelle se construit l’individualité métropolitaine est une intensification de la vie émotionnelle de la personne due à l’échange rapide et continu de stimuli externes et internes. Le rythme alerte et constamment croissant des changements dans le paysage urbain moderne (nouveaux bâtiments, circulation, publicités dans les rues), et le changement inattendu et violent des stimuli qui peuvent être perçus d’un seul coup d’œil consomment l’énergie mentale de l’observateur.

En raison du caractère intellectuel de la vie mentale dans les grandes métropoles, le type psychologique métropolitain réagit principalement de manière rationnelle, sans implication émotionnelle. Malgré les influences du postmodernisme [5], la pensée contemporaine reste particulièrement axée sur les aspects pratiques, les chiffres et les calculs.

L’exactitude du calcul de la vie pratique, résultant de l’économie financière, correspond à l’idéal de la science de transformer le monde en un problème arithmétique et de placer toutes les choses dans une formule mathématique. Dans le monde moderne, nous voulons que tout ait une explication, que tout soit démontré et calculé avec précision : le temps, l’argent gagné et dépensé et, finalement, même la vie.

L’aspect financier de la vie se réfère à ce qui est commun à tous les autres mots, la valeur et la contre-valeur (en argent) d’une chose ou d’une personne, un fait qui réduit la qualité et la personnalité humaines à un niveau purement quantitatif. Pour la société de consommation contemporaine, le temps, c’est de l’argent, comme l’a dit Benjamin Franklin ; aujourd’hui, tout est centré sur l’argent.

L’exactitude et la précision à la minute près qu’exige la vie dans une grande ville se traduisent par un accent déséquilibré sur la composante impersonnelle de la psyché de l’homme moderne et, en même temps, par une forte tendance à l’individualité égoïste.

Selon Georg Simmel, aucun autre phénomène psychique n’est aussi fortement lié à la vie dans la métropole moderne que la personnalité de l’homme contemporain, indifférent, fatigué et individualiste. Les effets de cette vie sont la superficialité et l’aliénation. Tous ces faits sont avant tout la conséquence du changement rapide et contradictoire des stimuli, le système nerveux étant ainsi sollicité, épuisé et privé de tout temps de récupération, un excès qui conduit finalement à l’auto-isolement de l’individu, en tant que réaction de défense.

Il est probable qu’une personne ne se sente nulle part aussi seule et abandonnée, aussi isolée ou aliénée qu’au milieu d’une vague de personnes dans une métropole surpeuplée. L’aliénation de la société contemporaine causée par le repli sur soi crée un problème au niveau de la perception et de la compréhension correctes de la réalité environnante. En conséquence, la signification et la valeur des distinctions entre les choses sont perçues comme sans importance.