Les risques des discussions sur "sauver le monde"

Méditations spirituelles 23/04/2023

Par Laurentiu Nistor | Signs of Times

Le climat et l’écologie de la planète préoccupent le monde depuis de nombreuses décennies. Dans les années 1980, l’appauvrissement de la couche d’ozone causé par les chlorofluorocarbones et d’autres gaz similaires a été observé et, en 1987, le protocole de Montréal a été finalisé.

Cet accord a été ratifié par tous les pays. Aujourd’hui, l’élimination presque complète de ces substances a été atteinte et la couche d’ozone continue de se reconstituer. En 1988 a été créé le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui évalue les recherches dans ce domaine et en présente les conclusions dans des rapports de synthèse.

Le protocole de Kyoto a été proposé et adopté en 1997, après qu’il a été constaté que l’excès de dioxyde de carbone dans l’atmosphère provoquait un effet de serre. Le protocole a été appliqué en 2005. Il visait à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 5 % par rapport au niveau des années 1990. Un système de suivi des progrès a été mis en place à cet effet. En 2015, l’accord de Paris a suivi, exigeant de tous les pays qu’ils s’engagent à réduire ces gaz, dans le but de maintenir la température moyenne de la planète bien en dessous de 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels. Chaque pays devait se fixer un objectif spécifique de réduction de l’empreinte carbone et atteindre la neutralité carbone.

Néanmoins, les effets du réchauffement climatique peuvent être observés dans la perturbation du cycle des saisons, et sous la forme de phénomènes météorologiques extrêmes et de catastrophes humanitaires. Les projections de l’application de l’Accord de Paris indiquent une augmentation trop importante de la température moyenne de la planète : 2,7 degrés Celsius d’ici 2100. À ce titre, il a été jugé nécessaire d’augmenter le niveau des engagements précédents. Le pacte climatique de Glasgow, à partir de novembre 2021, a introduit un seuil de réduction des émissions plus ambitieux et un engagement explicite à réduire l’utilisation du charbon, ainsi qu’un soutien financier accru aux pays en développement pour la transition vers une industrie plus respectueuse de l’environnement.

Ces discussions et accords mondiaux avec des objectifs écologiques ont des effets au niveau micro-social : les emballages dans les supermarchés changent, les cycles de production sont repensés, des taxes sur la pollution sont imposées, des industries entières sont transformées ou disparaissent, l’exploitation des ressources naturelles est vigoureusement réglementée, des investissements dans les ressources renouvelables sont réalisés et des solutions pour le traitement responsable des déchets sont recherchées.

Cependant, toutes les sociétés ne donnent pas la priorité à la responsabilité, à la durabilité et à l’efficacité – ou, du moins, pas en même temps. Certaines populations ou sociétés sont principalement orientées vers le progrès technico-économique et sont prêtes à sacrifier des ressources pour y parvenir, de sorte que ce n’est qu’après avoir atteint leurs objectifs de développement qu’elles gèreront la conservation.

La gestion de crise et la tentation des explications conspirationnistes

En matière d’écologie, les constats sont simples, mais la solidarité est rare. Nous ne nous soucions pas tous de savoir si la rivière est encore propre lorsqu’elle atteint la maison de notre voisin après avoir traversé la nôtre. Aussi, lorsqu’ils apprennent qu’ils doivent opérer des changements majeurs au profit d’un monde qui dépasse leur propre horizon de vie, les gens commencent à se poser des questions : en quoi cela les concerne-t-il et que doivent-ils faire ? Ainsi, face aux réalités objectives, nous avons affaire à une orientation subjective. Pour tenter de se rapprocher des gens et de s’assurer leur électorat, les dirigeants de la société ont souvent recours à des éléments subjectifs dans leurs arguments. Cependant, le recours constant à ce type d’argument alimente l’incertitude et le doute.

Ainsi, se retrouvant dans une confusion idéologique, l’électorat devient sceptique face aux solutions et aux arguments apportés. Ainsi, face à une crise pour laquelle il n’existe pas d’explications accessibles, l’esprit humain tente de donner un sens aux données auxquelles il a accès. Si celles-ci ne suffisent pas à comprendre les choses, la solution est extrapolée à d’autres horizons possibles, où des forces inconnues, génératrices de la crise, sont à l’œuvre et ont des objectifs cachés, qui doivent être révélés pour que nous puissions nous défendre[1].

Spiritualiser les corrélations

L’engagement sur le thème de l’écologie dans le milieu religieux suscite également des interprétations complotistes. Ce fut le cas de l’encyclique papale Laudato si’ du 24 mai 2015 et de l’initiative Climate Sunday, dans la perspective du Pacte de Glasgow sur le climat de 2021.

Souvent, l’acte de communication est filtré par le passé. Les tensions entre l’Église catholique en Occident et le christianisme orthodoxe en Orient, les guerres de religion entre l’Église de Rome et les protestants, et les tensions entre les protestants magistériels et les adeptes de la Réforme radicale sont toujours présentes dans les consciences historiquement sensibles et peuvent resurgir entre les descendants actuels des parties impliquées, quel que soit le contexte actuel.

L’histoire de l’excès d’autorité religieuse manifesté politiquement et administrativement par la fonction papale, en persécutant ceux qui ont des croyances différentes, ainsi que l’attente que l’histoire se répète à l’avenir (conformément aux images prophétiques apocalyptiques dans lesquelles une autorité séculière et religieuse persécute les opposants) facilitent la tendance à appliquer l’interprétation la plus négative possible à chaque initiative papale. La lecture de l’encyclique papale Laudato si’ ne fait pas exception.

Dans ce document, le pape François propose un changement profond par lequel les hommes repenseraient leur place dans l’humanité[2] et adopteraient une écologie intégrale[3] qui considère la planète comme notre maison commune[4], qui mérite d’être traitée avec respect[5].[La tendance au développement technique et économique conduit à la pollution industrielle, à l’exploitation non durable de l’environnement, ainsi qu’à des disparités socio-économiques entre les personnes[6]. Pour arrêter le cercle vicieux du développement économique entraîné par la tendance consumériste[7], une révolution culturelle est nécessaire[8], afin d’assurer la durabilité écologique pour les prochaines générations[9].

Bien qu’elle laisse la place à des solutions locales, l’encyclique fait des propositions radicales : freiner le consumérisme du paradigme technocratique, ralentir le rythme du développement dans certaines parties du monde[10], accroître la solidarité économique entre les pays[11], réguler fortement les besoins de l’industrie[12], pour que le développement soit durable, juste et équilibré[13], ce qui nécessite une conversion écologique[14] de la vie chrétienne. L’engagement de l’individu religieux dans ce domaine ajoute des répercussions écologiques aux actes sacramentels de l’Église, en particulier à l’Eucharistie et, par extension, au jour où elle est célébrée – le dimanche -, traduisant le culte comme soin et appréciation de la création[15]. L’encyclique se termine, entre autres, par la présentation de la Trinité comme modèle de relation entre les humains et la création tout entière[16].

Certains critiques modérés notent que l’encyclique utilise la théorie de la dépendance économique, ainsi qu’une simplification excessive de la compréhension du capitalisme et du marché libre. Les critiques observateurs remarquent l’appel à une gestion écologique globale de la planète, l’appel à des éléments corporatistes technocratiques et à des solutions généralisées, mais aussi les appels insuffisants aux principes de solidarité et de subsidiarité en ce qui concerne les droits des individus. D’autres critiques sceptiques de l’espace libéral américain estiment que l’encyclique souffre de faiblesses économiques et politiques. D’autres interprètes plus radicaux y voient même une intention papale de détourner le catastrophisme écologique pour faire avancer un programme spirituel prédéterminé avec des objectifs socio-économiques. À partir de cette dernière interprétation, il est facile de parvenir à la négation du changement climatique, une position partagée en particulier dans les cercles de la politique de droite américaine.

Bien qu’elle ait été publiée en 2015, l’encyclique a de nouveau attiré l’attention en 2021, en raison de sa corrélation avec l’initiative œcuménique appelée Climate Sunday, une initiative qui semble reprendre certains des objectifs de l’encyclique, à un niveau discursif. Cette initiative était une invitation adressée aux églises de Grande-Bretagne et d’Irlande à consacrer des services religieux au thème de l’écologie l’un des dimanches précédant novembre 2021, date de la réunion des dirigeants mondiaux à Glasgow (également appelée COP26).

En plus d’un dimanche librement choisi et dédié au niveau de la congrégation locale, l’initiative a organisé un service religieux le 5 septembre dans la cathédrale de Glasgow, dédié à l’événement lui-même, appelé le service du dimanche du climat des nations, avec le soutien de la communauté de la cathédrale et des organisations Glasgow Churches Together et Churches Together in Britain and Ireland. Dans la continuité de l’initiative, le 20 janvier 2022, un webinaire a été organisé dans le but “d’approfondir leur compréhension du soin de la création et de la justice climatique, de continuer à agir dans leurs bâtiments et leur communauté pour l’environnement, et d’élever leur voix pour faire pression sur le gouvernement britannique afin qu’il renforce et suive les engagements pris à Glasgow en matière de climat”.

Dans l’optique du déni du changement climatique, la corrélation entre les appels à l’encyclique Laudato si’ – et des événements tels que le Climate Sunday – et des formes de diffusion religieuse de la suprématie papale conduit certains à penser que les élites mondiales conspirent pour créer une fausse agitation autour du changement climatique, afin de promouvoir leur agenda caché. Cette interprétation considère la politisation du discours sur le sauvetage de la planète d’une catastrophe écologique comme une conspiration destinée à promouvoir la suprématie du Souverain Pontife ou des entités soutenues par sa fonction.

Cependant, cette corrélation ne fait qu’inférer l’influence papale dans l’initiative Climate Sunday et omet de noter que l’initiative ne s’adresse qu’aux églises de Grande-Bretagne. Ce n’est qu’en supposant que Laudato si’ est à la base de Climate Sunday que l’on peut formuler l’hypothèse que cette initiative britannique fonctionnerait comme un “pilote” pour un plan mondial. Le fondement explicite de ces déductions fait défaut.

Inquiétude chez ceux qui pratiquent le culte le samedi

Les croyants qui célèbrent leur culte le samedi, et non le dimanche, sont particulièrement préoccupés par le discours de l’encyclique. Pour les chrétiens et les juifs qui célèbrent le sabbat biblique du septième jour, les choses sont claires : le sabbat est un mémorial de la création et un temps consacré à la relation avec Dieu. Leur préoccupation part de l’article 237, dans lequel l’encyclique présente le dimanche, premier jour de la semaine, comme le jour de la célébration de l’eucharistie et le jour de la “nouvelle création dans le Christ”, en souvenir de la résurrection et de la promesse qu’elle contient.

Dans l’encyclique, le pape François charge le dimanche de significations ouvertement empruntées au commandement biblique de respecter le sabbat (Exode 20:8-11), qui présente le septième jour, le samedi, comme un temps consacré à Dieu et un hommage au Créateur, dans lequel se manifestent l’attention et la reconnaissance envers la création. Pour les chrétiens qui célèbrent le septième jour en tant que jour de culte prescrit par la Bible, le fait de mettre le dimanche sur le devant de la scène sous-tend une préoccupation spécifique : élever le dimanche au rang de jour de culte universel.

Une élévation trans-liturgique est prise en compte : elle part de la célébration eucharistique, puis elle s’approprie les dimensions de la nouvelle création en Christ, et elle est orientée vers le monde nouveau, devenant pertinente également en dehors de l’espace religieux. Cependant, dans le texte de l’encyclique, il n’y a rien d’explicite qui suggère l’obligation ou la normalisation de ce jour de culte, mais seulement son caractère est présenté, tel qu’il est compris et contextualisé principalement dans l’Église catholique.

Néanmoins, étant donné qu’au début de l’encyclique[17], le Pape déclare vouloir s’adresser à tous les peuples de la planète, le dilemme de placer le dimanche dans un contexte non-catholique se pose : Le Souverain Pontife suggère-t-il que même ceux qui ne comprennent pas le dimanche de manière catholique doivent envisager de cesser toute activité économique le dimanche, de sorte que, indépendamment des croyances de chacun, ils parviennent à la préservation d’une forme de repos sociétal dominical ?

L’extension de l’interdiction du travail le dimanche n’est pas explicite dans l’encyclique, mais le document préserve implicitement la disposition de ce commandement sabbatique parce qu’il se réfère au dimanche avec l’expression “jour de repos”. La question peut rester ouverte en ce qui concerne les destinataires de cette insistance sur la signification du dimanche, bien que les règles élémentaires d’interprétation puissent nous indiquer que la lecture eucharistique du dimanche s’applique à ceux qui la célèbrent. Cependant, l’encyclique aurait pu être plus explicite car, dans le cas contraire, il n’est pas impossible de supposer qu’un désir discret du discours, évident par l’omission de limitations, serait l’engagement du dimanche comme jour de repos mondialement accepté, sinon religieux, du moins social et économique, pour le bénéfice de la planète.

Le fait d’attacher la dimension écologique au culte dominical a rapproché certains chrétiens – qui s’inquiètent de l’élévation et de l’imposition du dimanche comme jour de culte universel et qui militent donc pour la liberté religieuse – des critiques qui nient le changement climatique. Cette proximité idéologique avec les négateurs du changement climatique n’est pas justifiée et doit être évitée, car elle n’a rien à voir avec le souci de soutenir la liberté religieuse.

Les fondements bibliques d’une interprétation correcte

Pour en revenir aux questions que l’encyclique Laudato si’ peut soulever, elles méritent certainement d’être posées, d’autant plus que l’encyclique vise à ouvrir un dialogue. Néanmoins, les réponses ne peuvent pas être simplement imaginées sur la base de corrélations et de suppositions. Les questions doivent plutôt être adressées à l’expéditeur. La prise en charge de la liberté religieuse par les chrétiens qui pratiquent leur culte un autre jour que le dimanche ne signifie pas que toute manifestation manifeste de l’option majoritaire en faveur du dimanche doive être interprétée dans la panique comme ayant des arrière-pensées.

Cependant, au niveau spirituel, une conscience informée par la Bible a le mandat de vérifier les interférences séculières dans son domaine.

Une lecture trop spiritualisante du séculier, même à travers la critique, conduit à la dévalorisation du spirituel. L’affirmation de Jésus selon laquelle son Royaume n’est pas de ce monde doit rester le repère profond de l’enjeu du combat entre le bien et le mal. Parce qu’elles sont séculières, les propositions, même émanant des plus hautes autorités religieuses, doivent recevoir une réponse séculière et être appliquées de manière séculière, tandis que les propositions spirituelles doivent recevoir une réponse spirituelle, et leurs applications doivent également être maintenues distinctes.

Nous disposons de suffisamment de repères bibliques pour identifier les dangers spirituels. Un exemple serait la description des actions des forces qui s’opposent au peuple de Dieu fournie par le livre de l’Apocalypse. La première de ces actions est la restriction de la liberté de conscience, et la seconde, qui en découle, est la fusion des pouvoirs religieux et politiques dans l’État, de sorte que la conscience est forcée par le politique. Aucun de ces aspects n’est représenté dans l’encyclique susmentionnée. Les recommandations des différents facteurs de décision pour l’orientation vers le bien économique mondial n’impliquent pas et n’appellent pas à la coercition ou à la suppression de la liberté individuelle (bien que des dispositions supplémentaires dans ce sens auraient été les bienvenues). Favoriser une économie plus solidaire ne signifie pas forcer les consciences, comme en témoignent les social-démocraties européennes fonctionnelles, où la liberté de conscience existe mais où le capitalisme sauvage est freiné.

Dans l’Apocalypse également, on trouve des descriptions de certaines façons dont les forces du mal agissent parmi les gens (Apocalypse 14:8, 17:2, 18:2-3, cf. Jérémie 51:6-8). La destruction de la création (Apocalypse 11.17) en serait l’une des manifestations explicites et facilement observables. De plus, l’Apocalypse affirme que l’opposition contre ceux qui restent fidèles à Dieu sera explicite et claire, évidente à plusieurs niveaux, non obscure et accessible seulement à quelques intellectuels, et que le large accord pour cette opposition sera d’abord spirituel, mais manifesté politiquement et de manière généralisée (Apocalypse 16:13-14).

La recherche impatiente d’une interprétation de la réalité actuelle qui corresponde aux éléments prophétiques attendus n’est pas une approche bénéfique. Interrogé avec anxiété sur la fin de l’histoire, le Sauveur a redirigé l’attention des disciples vers la mission confiée plutôt que vers l’examen minutieux de l’agenda divin.

S’obstiner à identifier un accomplissement prophétique sans disposer de critères vérifiables constitue une interprétation théologique erronée de la réalité, qui n’est pas sans conséquences : convaincus de faire une bonne action, les interprètes hâtifs finissent par identifier des significations là où il n’y en a pas. La perspective divine est éclairante (Job 42:8) : les discours apologétiques fondés sur des hypothèses et des extrapolations statistiques ou probabilistes ne peuvent constituer des interprétations théologiques ou des jugements moraux valables.

Sur le plan pratique, les interprétations hasardeuses de l’actualité faussent la perception correcte de la préparation au Royaume de Dieu en la réduisant à une lecture de l’actualité en fonction d’une note spécifique. Cela diminue l’importance de la relation entre Dieu et l’homme dans la préparation spirituelle, car cela conduit la bataille pour l’âme humaine dans une fausse arène : elle confond le spirituel avec le terrestre parce qu’elle met l’accent sur la réactivité aux facteurs externes au détriment des facteurs spirituels.

Étendue au niveau de la responsabilité personnelle et sociale, l’application d’interprétations limitées fonctionne comme un élément de déresponsabilisation, ce qui conduit à l’annulation du mandat divin de prendre soin de la création et de l’apprécier.

Laurentiu Nistor estime que l’impatience concernant le retour du Seigneur Jésus-Christ oblige certains chrétiens à insister sur l’interprétation prophétique du présent, ce qui fausse et diminue l’investissement actif dans le mandat missionnaire donné par le Sauveur lui-même.