Le retour à la maison

Méditations spirituelles 18/10/2020

Septembre 2020 / Karen J. Pearson / Adventist World

Je ne pense pas que Maman passera la nuit », me dit ma sœur au téléphone, l’air fatigué. Notre mère s’est mise à tomber de plus en plus souvent. En ce moment, elle est à l’hôpital à cause d’une blessure à la tête et d’une importante hémorragie interne. Je me sens soudain bien loin de chez moi. Je dépose une valise sur mon lit pendant que mon fils cherche sur Internet un billet de Boise, en Idaho, à destination du Cap, en Afrique du Sud. Trois heures plus tard, tandis que je me rends à l’aéroport, je prie Dieu de faire en sorte que j’arrive à temps pour dire au revoir à Maman. Pas facile de vivre loin de chez soi…

Nous sommes là – quatre filles des quatre coins du monde réunies autour d’un lit d’hôpital, essayant de prendre les bonnes décisions pour leur mère. Au cours des jours suivants, tout n’est que montagnes russes : parfois, Maman a toute sa tête ; mais le plus souvent, elle essaie de comprendre pourquoi ses filles sont toutes là en même temps. Elle nous supplie de la ramener chez elle. Et ça nous brise le cœur.

UNE DÉCISION DIFFICILE

Une semaine plus tard, deux de mes sœurs rentrent chez elles. Moi, je reste pour aider maman à passer du centre de rééducation à un centre de soins pour personnes de santé frêle. Elle ne progresse que lentement. Lorsque son médecin lui recommande de rester plus longtemps, je décide de retarder mon retour. Au même moment, la pandémie de COVID-19 commence à s’étendre rapidement dans le monde entier. L’Europe est devenue le nouveau point chaud, dépassant la Chine. Mais tout indique qu’il est fort probable que d’autres points chauds surgissent partout.

Mon fils me téléphone de Washington, D.C., inquiet pour mon retour et craignant que je reste coincée là si je reporte mon vol. D’emblée, tout semble devenir hallucinant ! Mon désir de retourner chez moi me serre le cœur. Comment choisir quand on a son chez-soi à deux endroits ? Finalement, je décide de rentrer aux États-Unis. Je passe les quelques jours qui me restent en Afrique du Sud avec Maman. Je me promène sur la plage, vais dîner avec une amie, et termine de ranger l’appartement de Maman.

Deux jours avant mon départ, le président sud-africain Cyril Ramaphosa déclare l’état de catastrophe nationale et ferme 35 points d’entrée. D’autres pays africains lui emboîtent immédiatement le pas, et les consulats étrangers contactent leurs citoyens, les exhortant à rentrer chez eux. Alors que je dis au revoir à Maman, la Commission européenne annonce que l’Union européenne va bientôt fermer ses frontières pour tous les voyages non essentiels. Absorbée par l’état de ma mère, je n’ai pas pris le temps de me tenir au courant des nouveaux développements.

LE VOYAGE COMMENCE

À l’aéroport international du Cap, le désordre éclate. Les expatriés et les touristes cherchent désespérément un vol. En pesant mes bagages au comptoir d’enregistrement de la Lufthansa, je découvre que ma correspondance à Francfort a été annulée. Mais je n’ai d’autre choix que de prendre un vol pour l’Europe ! Que vais-je faire une fois arrivée en Allemagne ?

Lorsque l’avion atterrit à Francfort, l’Union européenne a déjà activé l’ordre de la Commission européenne et, dans une mesure sans précédent, a fermé ses frontières à la plus grande partie du monde extérieur. Nous débarquons de l’avion en silence. Un policier armé prend mon passeport et m’ordonne de me tenir avec tous les autres voyageurs qui ne sont pas de nationalité allemande. Je retiens mon souffle et prends mon téléphone, anxieuse de voir si j’ai des messages. Et il y en a un ! Mon fils a trouvé un vol de correspondance et redirigé mon vol vers Boise, via Chicago. Je me sens fatiguée, mais ô combien soulagée !

Quelqu’un m’appelle. Je m’avance pour montrer la preuve de ma correspondance et on me fait signe de passer. Quelques minutes plus tard, on m’arrête de nouveau. Cette fois, cinq policiers armés forment une barrière humaine à l’entrée de l’aéroport. Un petit groupe de voyageurs anxieux se tient devant eux alors que l’un des agents s’écrie : « Je vous l’ai dit déjà cinq fois ! La frontière est fermée ! L’Europe est fermée ! Qu’est-ce que vous ne comprenez pas ? » Je m’avance, lui tends mon téléphone, et il me laisse passer.

Au-delà du point de contrôle, l’aéroport semble désert. Un silence lugubre plane. La file d’attente au comptoir d’assistance se déplace lentement, tandis que des étrangers partagent leurs histoires à voix basse et serrée par le stress. Une jeune mère verse à maintes reprises du désinfectant sur les mains de sa fille. J’arrive au comptoir et reçois avec reconnaissance mes cartes d’embarquement. En me dirigeant vers ma porte, je recommence enfin à respirer. Vingt heures plus tard, j’arrive à Boise juste avant minuit, chancelante et épuisée.

QUAND LA VIE FRAPPE COMME UN CONVOI DE MARCHANDISES

Il est difficile de faire face à la vie quand elle fonce vers soi comme un convoi de marchandises. Mais avec l’ordre de confinement, j’ai eu le temps de réfléchir. Les crises avec ma mère et la pandémie de COVID-19 ont fusionné et, pour être honnête, m’ont rendue perplexe. Je passe des jours dans le flou, pas tout à fait présente d’esprit, alors que j’essaie de comprendre ce qui se passe autour de moi et en moi.

Je ne cesse de me parler pour sortir de ce flou. Mais comment revenir à la normale quand plus rien n’est normal ? J’en ai assez du bruit, des mèmes, des jeux des médias sociaux. Je suis fatiguée de tous les posts d’encouragement qui me disent de « garder le moral ». Je suis découragée par les posts qui disent que comme Dieu en a eu assez de nous voir nous battre, il nous a envoyés dans nos chambres. Je suis alarmée par les posts qui prétendent que tout cela n’est qu’un canular.

Peu après mon arrivée aux États-Unis, mon fils et ma belle-fille sont diagnostiqués positifs au coronavirus. Je passe mes nuits à prier à chaque heure. Seigneur, fais en sorte qu’ils continuent à respirer ! Impuissante, désespérée, je suis avec obsession les statistiques sur la pandémie. Je perds mon sentiment de paix et lutte pour trouver le calme. J’ai besoin de repos. J’ai l’ennui de chez moi.

UN RAPPEL À LA RÉALITÉ

Pendant la nuit la plus sombre, alors que mes enfants sont au plus mal, je me souviens de la file d’attente au bureau d’assistance de la Lufthansa, à Francfort. Une gentille grand-mère de Floride se tenait devant moi et nous avons discuté comme de bonnes vieilles amies. Après une pause, elle m’a regardé et m’a dit : « Finalement, tout se résume à mettre notre confiance dans le Seigneur, n’est-ce pas ? » Croyant en un même Dieu, nous avons reconnu cela en nous souriant.

Mais maintenant, sa question revient et me hante. Alors que je me tiens silencieusement dans l’obscurité, elle me brise le cœur en mille morceaux et le met à nu. Je suis horrifiée en comprenant que dans cette crise à deux visages, je craque. En théorie, je fais confiance au Seigneur, mais en réalité, je me retrouve paralysée par la peur, immobilisée par l’inconnu, et réduite au silence par mon incapacité de contrôler l’issue de la crise. Tout compte fait, je ne suis pas aussi forte que je le croyais. Ma foi a en quelque sorte été engloutie dans ma faiblesse, et je me vois maintenant telle que je suis vraiment : malheureuse, misérable, pauvre, aveugle et nue devant Dieu et devant moi-même.

Soudain, j’imagine le regard de Pierre au moment où il fut confronté à un aveu semblable. Le chant du coq retentissait encore dans l’obscurité qui précédait l’aube lorsque Jésus se retourna et regarda son disciple égaré. Ce regard brisa le cœur de Pierre en mille morceaux. Dans la crise, le renégat craqua, lui aussi. Comme moi, il n’avait pas été aussi fidèle qu’il l’avait cru.

Plus tard, juste avant de monter au ciel, Jésus prépara le petit déjeuner sur la plage pour ses disciples. Il avait une question pour Pierre. De toutes les questions qu’il aurait pu poser, il lui demanda simplement : « Pierre, m’aimes-tu ? »

Remarquez bien qu’il ne dit pas : « Pierre, sais-tu que je t’aime ? » C’est parce que, du point de vue de Dieu, son amour n’est jamais remis en question. Il est constant. Fiable. Immuable. Éternel. Il ne vacille jamais, ne faiblit jamais. L’amour de Dieu pour nous est infaillible. Il l’a toujours été, et le sera toujours.

Lorsque les épreuves nous accablent, lorsque la vie nous déprime et que les difficultés nous stressent, l’amour de Dieu tendre, compatissant, nous entoure. Per- sonne ne peut nous aimer comme Jésus nous aime.

CONNAÎTRE SA VOIX

À chaque réponse de Pierre à la question de Jésus, celui-ci lui dit : « Pais mes agneaux. »

Pierre avait été sous la protection du bon Pasteur pendant trois ans et demi. Il avait marché avec lui dans de verts pâturages, et bu de l’eau vive à des eaux paisibles. Maintenant, le bon Pasteur restaurait son âme. Jésus renouvelait la force de Pierre, car dans les années à venir, ce dernier devait savoir que même lorsqu’il marcherait dans les vallées les plus sombres, il ne serait jamais seul. Celui qui avait promis de marcher à ses côtés l’avait précédé. « Je suis le bon Berger, dit Jésus. Le bon Berger donne sa vie pour ses brebis. » (Jn 10.11)

« Mes brebis entendent ma voix ; je les connais, et elles me suivent. Je leur donne la vie éternelle ; et elles ne périront jamais, et personne ne les ravira de ma main. Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tous ; et personne ne peut les ravir de la main de mon Père1. » (Jn 10.27-29)

Le chemin du retour à la maison nous conduit toujours à travers la vallée. Jésus sait qu’il n’est pas facile de vivre si loin de chez soi. Et tandis que notre cœur aspire à rentrer chez nous, le cœur de  Jésus, lui, aspire bien davantage à ce que nous y soyons enfin.

Parfois, il est nécessaire qu’une crise nous brise en mille morceaux pour que nous puissions voir notre cœur, pour connaître son véritable état. Et ce que l’on découvre est rarement beau… Regardons les choses en face : nous sommes tous en train de nous débattre. Nous sommes tous épuisés. Nous tâtonnons tous dans l’obscurité de cette vallée, désespérés d’entendre la voix de notre berger.

Voici ce que notre bon Pasteur nous dit maintenant : « Es-tu fatigué ? Épuisé ? Brûlé par la religion ? Viens à moi. Partons ensemble et tu retrouveras ta vie. Je vais te montrer comment prendre un vrai repos. Marche et travaille avec moi – regarde comment je fais. Apprends les rythmes naturels de la grâce. Je ne t’imposerai rien qui te soit lourd ou mal adapté. Accompagne-moi, et tu apprendras à vivre librement et avec légèreté (2). » (Mt 11.28-30, Message (3).)

Si nous écoutons et suivons la voix de notre berger, nous rentrerons tous chez nous sains et saufs.


1 Sauf mention contraire, toutes les citations des Écritures sont tirées de la version Louis Segond 1910.

2 Textes tirés de la version biblique The Message. Copyright ©1993, 1994, 1995, 1996, 2000, 2001, 2002. Avec la permission de NavPress Publishing Group.

3 Traduction libre de la traductrice.


Karen J. Pearson est pasteur adjoint de l’église adventiste de Meridian, en Idaho. Elle est aussi coordinatrice du Ministère de la prière pour la Fédération des églises adventiste de l’Idaho.