L'artisane

Méditations spirituelles 02/08/2021

Par David Vélez-Sepúlveda | Revue Connectées 1 trimestre 2020

La caravane arriva à Dan, sa destination finale et de là, elle entreprendrait de nouveau un voyage de retour vers le sud. Gomer regla les comptes avec le chef du convoi qui était devenu son ami, le remercia et prit congé de lui après avoir reçu des recommandations de sa part.

Elle se logea à l’auberge qu’on lui avait recommandée et pendant deux jours, elle se reposa du long voyage qu’elle avait fait avec la caravane. Se sentant revigorée, elle alla chercher un endroit pour établir le petit atelier d’artisanat qui lui permettrait de gagner sa vie. Elle commença par la rue principale de la ville, mais l’exclut par la suite car on lui demandait de payer un coût élevé pour avoir accès aux locaux qui y étaient disponibles. Elle dut se contenter d’un emplacement moins important, mais qui semblait très prometteur. Elle paya la première échéance avec les économies qu’elle avait si méticuleusement conservées, après les avoir épargnées pendant des années à cette fin et commença à s’installer le même jour. Gomer utiliserait le petit magasin de l’atelier de manière privée, comme sa chambre personnelle. Évidemment, cela n’était en rien comparable à la maison de Diblaïm qui avait été son foyer et celui de sa mère Hanna, mais c’était habitable.

En route vers son nouveau foyer, elle avait acheté deux pièces qui constituaient maintenant son plus grand trésor, sa fierté personnelle, le symbole tangible de son indépendance récemment retrouvée, ce qu’elle estimait comme garantie de sa très coûteuse liberté, obtenue au moyen d’un exorbitant sacrifice personnel. Elle avait acquis un rouet en très bon état et un vieux treuil de poterie équipé d’un tabouret pour l’opérateur. Alors, elle ouvrit son petit atelier modeste avec beaucoup d’espoir de prospérité et de survie dans un environnement qui, quoiqu’il ne lui fût pas du tout connu spécifiquement ou particulièrement, au moins elle savait qu’elle se trouvait sur un territoire qui faisait partie de sa nation, dans sa propre culture, parmi les siens.

La nouvelle de ce magnifique petit atelier attira de nombreux clients et curieux, et certains achetaient des riches œuvres en peau que Gomer avait en vente, des broderies raffinées, des tissus délicats en laine et en lin qui rivalisaient avec ceux importés de la lointaine Égypte. Ils s’intéressaient aux tissus colorés qu’elle offrait ainsi qu’aux vêtements délicats déjà finalisés, prêts pour être utilisés. Gomer les assurait que très bientôt, elle mettrait en vente de beaux vases en céramique pour satisfaire les goûts les plus exigeants et les utilisations plus variées. La nouvelle commerçante accueillait tous avec un magnifique sourire, avec des paroles et gestes bienveillants et courtois. Le petit atelier de Gomer commença à avoir la réputation d’un lieu où on fabriquait d’excellentes pièces, chacune était produite avec une touche artistique spéciale, distinctive, particulièrement remarquable et à des prix abordables pour la communauté.

Tout marchait comme sur des roulettes. Gomer, qui avait utilisé de nouveau son vrai nom depuis qu’elle s’était établie à Dan, voyait se réaliser son rêve le plus cher : vivre une vie normale sans s’excuser à cause de qui elle était, et sans être tenue d’expliquer à chaque personne les circonstances particulières de sa vie. Cependant, une chose lui manquait. Elle avait grandi en participant aux fêtes nationales dans le temple, où on adorait encore YHWH, loué soit son Nom, où on lisait encore la Torah sacrée. Mais à Dan, le culte à YHWH, loué soit son Nom, avait été abandonné ; qui plus est, il avait été remplacé par le culte des divinités païennes.

Peu de temps après s’être installée dans son atelier, dans sa nouvelle communauté, Gomer jouissait de sa paix récemment retrouvée. Les ventes lui généraient assez de bénéfice pour se maintenir modestement, et pour économiser un peu. Un jour elle vit au marché situé aux environs de l’entrée principale de la ville, où se réunissaient les caravanes de commerçants de différents horizons, un très fin récipient d’albâtre, apporté de l’Orient. Son coût était supérieur à l’argent qu’elle avait sur elle en ce moment-là, donc elle retourna à son atelier, prit presque la totalité de ses économies, et l’investit dans l’achat de ce flacon fait d’albâtre. L’investissement que la jeune fille réalisait était judicieux et dénotait de sa vision à long terme.

Peu de temps après, les clients et les voisins de sa communauté commencèrent à se poser une serie de questions. Qui était cette jeune fille extraordinaire qui, si avantageusement, avait débarqué chez eux et connaissait autant de succès ? D’où était-elle venue ? Où était son mari, qui ne se montrait pas du tout ? Avec qui vivait-elle ? Parce qu’il était inconcevable qu’elle vécût seule, à moins qu’elle fût une veuve ! Et dans ce dernier cas, elle serait en train de vivre avec ses parents, ou de préférence, dans le meilleur des cas, avec ses beaux-parents, dans l’espoir d’être secourue par un frère de son défunt mari. Des questions insinuantes et des commentaires indirects ne tardèrent pas à parvenir à Gomer. Elle réalisait que ce sujet de ragots servait comme appât pour attirer les clients vers son atelier, mais elle était également consciente que, quand ils auraient assez d’informations, sa côte de popularité baisserait et la clientèle s’éloignerait d’elle.

Mais son plan pour subvenir à ses besoins de manière honnête et consciencieuse, en dépendant du travail de ses mains, continuait d’avancer peu à peu. Dans un autre de ses déplacements au marché de l’entrée de la ville pour s’approvisionner les équipements nécessaires pour son atelier et pour satisfaire ses propres besoins, Gomer fit à dessein un détour qui l’amena aux ateliers des fabricants et importateurs de parfums. Elle avait antérieurement vu exactement tout ce qu’elle voulait acheter, et cette fois, elle était préparée pour l’acquérir. Elle portait son lécythe d’albâtre, pour lequel elle avait investi un mois plus tôt pour cet usage.

Elle entra dans le magasin où elle était déjà connue et acheta un extrait de nard d’une quantité inhabituelle d’un cinquième de hin. Elle fit sceller son lécythe avec de la cire autour du bouchon pour sécuriser le précieux contenu, puis elle fit marquer la cire par le cachet en relief du fabricant ou vendeur qui, par ce moyen, garantissait la pureté et la qualité du produit. Elle paya la grosse somme d’argent convenue et ressortit avec sa luxueuse acquisition.

L’environnement parfumé de l’atelier imprégnait tout ce qu’elle touchait, et elle-même ne faisait pas exception : sa peau, ses cheveux, ses sandales et tous ses vêtements étaient parfumés. Cela pourrait avoir été un inconvénient, si elle était allée se balader hors de la zone où les gens la connaissaient, mais elle s’en était bien sortie, parce que c’était comme si elle annonçait sa présence partout où elle se rendait. Le lécythe d’albâtre et la substance de nard qu’elle avait achetée étaient la meilleure et la plus sûre manière d’investir ses économies. Ainsi, elle risquerait moins que son argent, économisé avec tant de sacrifices, soit volé ou détourné de sa cachette secrète. Ayant fait sa vérification initiale, Gomer ouvrit son atelier pour une autre journée de travail.