La vie sous la croix et la mort sur le bûcher

Méditations spirituelles 03/05/2023

Par Andrei Geantă | Signs of Times

Pour l’homme enchaîné, il n’y a plus que deux options : la soumission sans réserve au conseil ou la condamnation ; l’abjuration ou la mort. Dehors, le bûcher est déjà prêt.

C’était le samedi matin 6 juillet 1415. Dans la cathédrale de Constance, pleine à craquer, Jacob Balardi Arrigoni, évêque de Lodi, prêche sur la base du texte de Romains 6,6 : “… afin que le corps gouverné par le péché soit éliminé”. Des cardinaux et des évêques de tout l’Empire romain, vêtus de leurs robes resplendissantes, forment un demi-cercle autour du mourant, dont les mains affaiblies sont liées par des chaînes. L’empereur Sigismond est également présent avec toute sa suite impériale.

Le Lollard de Bohème

Âgé de 43 ans seulement, l’homme enchaîné Jan de Husinec (Jan Hus en abrégé) était l’une des personnes les plus érudites de son temps. Licencié en lettres, en philosophie et en théologie, ordonné prêtre, Hus devient, à 29 ans, doyen de la faculté de philosophie, puis, un an plus tard, recteur de l’université de Prague et curé de la chapelle de Bethléem, une salle de plus de deux mille places qui deviendra le centre du mouvement réformateur en République tchèque.

L’étincelle de la réforme s’est allumée dans le cœur de Hus lorsqu’il a lu les œuvres du réformateur anglais John Wycliffe. Dans les années qui suivirent, Hus prononça environ trois mille sermons. Il incite les laïcs, y compris les nobles et le roi, ainsi que ses confrères clercs, à mener une vie pieuse et chaste, et dénonce la simonie, les exigences excessives de l’autorité papale et les indulgences. Ses sermons attiraient et passionnaient les foules, les nobles et même la reine faisant souvent partie des participants.

La réforme en images

Les murs de la chapelle de Bethléem sont également porteurs d’un message de réforme, puisqu’ils sont décorés de plusieurs tableaux significatifs placés par paires. L’une d’entre elles représente un pape à cheval, dans toute la splendeur d’une somptueuse procession, tandis que l’autre représente le Christ portant sa croix. Dans une autre paire, le pape est représenté assis sur le trône pontifical, ses pieds étant baisés, tandis que le Christ est représenté agenouillé, lavant les pieds de ses disciples.

Un combat inégal

Les représailles catholiques ne tardent pas à suivre et le conflit prend une tournure dramatique. En raison de la présence de Hus, Prague fut placée à deux reprises sous le coup d’une interdiction papale. Les services religieux sont suspendus, les églises fermées, les mariages célébrés dans le cimetière et les morts enterrés sans service, dans les champs. Ne voulant pas impliquer toute la ville dans le conflit, Hus choisit de quitter Prague volontairement le 15 octobre 1412. Pendant ses deux années d’exil, il continue à prêcher dans les granges, les champs et les forêts, et écrit 15 livres, dont le plus important, “De Ecclesia”.

À l’automne 1414, Hus reçoit la nouvelle de la convocation du grand concile de Constance pour y défendre ses enseignements. Bien que l’empereur du Saint-Empire Sigismond lui-même lui ait garanti le droit de libre passage, Hus est arrêté à Constance et sommé d’abjurer ses opinions. Huit mois de détention s’ensuivent, au cours desquels sa santé se détériore rapidement. Cependant, selon des lettres datant de cette période, sa plus grande préoccupation était qu’aucune fausse rumeur ne se répande quant à son abjuration.

Après plusieurs comparutions au cours desquelles il a tenté en vain de plaider sa cause, Hus a fait appel à Jésus-Christ, affirmant que c’est lui qui jugera tout le monde, non pas sur la base de faux témoins ou de conseils sujets à l’erreur, mais sur la base de la vérité et de la justice[1].

La vie, vue du bûcher

Finalement, le 6 juillet, Hus fut emmené à la cathédrale. Après le sermon de l’évêque de Lodi, sept évêques l’ont revêtu d’habits sacerdotaux. Il est ensuite dégradé. L’un après l’autre, les évêques lui arrachèrent un morceau des vêtements en disant : “Judas maudit, nous t’enlevons la coupe du salut”. À la fin, les paroles suivantes furent prononcées en chœur : “Nous livrons ton âme au diable”. Sa tonsure sacerdotale fut détruite à l’aide d’une paire de ciseaux, et un chapeau en papier sur lequel étaient peints trois visages hideux de démons à côté de l’inscription “Haeresiarcha” (c’est-à-dire chef d’un mouvement hérétique) fut ensuite posé sur sa tête.

Sur le lieu de l’exécution, sur un autre bûcher, Hus a vu ses livres brûler. On lui donne une dernière chance de se rétracter. Dans le silence qui s’était installé, on pouvait entendre clairement sa voix : “Dieu m’est témoin que […] l’intention principale de ma prédication et de tous mes autres actes ou écrits était uniquement de détourner les hommes du péché. Et c’est pour cette vérité de l’Évangile que j’ai écrite, enseignée et prêchée, conformément aux paroles et aux exposés des saints docteurs, que je suis prêt à mourir aujourd’hui”. Au milieu de la fumée et des flammes, on entendit aussi la voix de Hus qui chantait : “Jésus, fils du Dieu vivant, aie pitié de moi”[2].

Et le feu ne s’est pas éteint

Le feu de la Réforme en Bohême ne s’éteint pas avec le bûcher de Hus et de son ami Jérôme. Près de cinq cents nobles se réunirent à Prague pour protester contre la condamnation des deux hommes et conclurent un pacte solennel par lequel ils s’engageaient à défendre la réforme tchèque contre toute menace. Six croisades sont lancées contre eux, pour les ramener dans la soumission à Rome, et six fois les attaques sont repoussées par les armées hussites, bien inférieures en nombre et en entraînement. Finalement, Rome est contrainte de proposer un compromis.

L’absolutisme papal commence à vaciller : Jan Hus et la révolution qui porte son nom ont contribué à changer la façon dont le pouvoir et l’autorité seraient compris et administrés, tant dans l’Église que dans les structures politiques[3] Les Frères moraves, ou Unitas Fratrum, étaient la promesse des changements à venir. Un siècle plus tard, la flamme de la Réforme s’allumera pour ne plus jamais s’éteindre. Les Frères moraves joueront un rôle décisif dans l’expérience religieuse de John Wesley, contribuant à la naissance du méthodisme, et seront également à l’origine des premières sociétés missionnaires protestantes du vivant du comte de Zinzendorf.

Notes de bas de page

[1]”Justo L. Gonzalez, “The Story of Christianity”, vol. 2, San Francisco, Harper SanFrancisco, 1985, p. 2″.
[2]”Thomas A. Fudge, ‘To Build a Fire’ in ‘Christian History’, no. 68, 2000″.
[3]”Thomas A. Fudge, “Jan Hus. Religious Reform and Social Revolution in Bohemia”, Londres, IB Tauris & Co, 2010, p. 245.””.