La prière du chirurgien

Méditations spirituelles 17/10/2022

Dick Duerksen | Adventist World octobre 2022

Tout le monde dit qu’elle a besoin d’une opération, d’une grosse opération. Son médecin est formel : « Si vous voulez vivre, il faut vous faire opérer. » Ses amis – tous ses amis – sont d’accord. Elle se met donc en quête d’un chirurgien, d’un bon chirurgien, du meilleur chirurgien. Elle veut vivre !

Mais elle a peur. Très peur.

Elle finit par trouver un chirurgien – un bon chirurgien. Recherché par beaucoup, reconnu comme étant l’un des meilleurs, il est prêt à prendre des cas difficiles dont aucun autre chirurgien ne veut. Mais les infirmières et les techniciens qui travaillent avec lui le méprisent. « Cet homme-là est méchant, voilà tout ! lance une infirmière. Si on n’est pas d’accord avec lui ou si on n’obtient pas quelque chose aussi vite que Monsieur l’exige, il crie, hurle, et lance des objets. Il n’est vraiment pas gentil. Mais, côté chirurgie, il n’a pas son pareil ! »

« C’est un faiseur de miracles, dit le médecin de la patiente. Voyons si on peut l’avoir pour vous opérer. »

« O. K. », dit-elle. Puis elle se met à prier – pas pour elle-même, mais pour son chirurgien.

Le jour de l’opération, une amie la conduit à l’hôpital. Sur place, un employé lui apporte une chaise roulante et la pousse jusqu’au bureau des admissions. À l’appel de son nom, elle s’inscrit et paie sa part des frais. Ensuite, on l’escorte à l’étage. Elle s’assied sur une chaise en plastique, froide, dans la salle d’attente donnant sur le bloc opératoire.

Le chirurgien a plusieurs interventions chirurgicales prévues ce jour-là, certaines dans la salle 1, d’autres dans la salle 3. Une équipe d’anesthésistes, d’infirmières, d’informaticiens et d’assistants médicaux attendent dans chaque salle. Ils sont prêts à exécuter les ordres du chirurgien – rapidement, avant qu’il ne le leur demande, et sans poser de questions.

Un employé de l’hôpital vérifie le nom de la patiente dans le planning des opérations et lui dit qu’on l’appellera dans quelques minutes.

Elle s’asseye et, inquiète, prie. Cette fois, elle prie pour sa famille, ses amis, son chirurgien, et pour elle-même. « J’ai prié pour avoir du courage et pour que Dieu guide les mains du chirurgien. »

Dans la salle 1, le chirurgien est occupé à faire des miracles. Soudain, son assistant, dont le nom est brodé au-dessus de la poche de son impeccable chemise blanche, arrive dans la salle d’attente et appelle la patiente par son nom.

« Vous êtes la suivante, Madame. Avez-vous des questions ? »

« Oui ! Avant de me rendre à la salle d’opération, je voudrais que le chirurgien vienne me parler. Je vais l’attendre ici. » « C’est que, Madame, le chirurgien est très occupé ! Il ne vient jamais dans la salle d’attente. Si vous voulez lui parler, vous devrez prendre rendez-vous à son bureau. »

« Dites au chirurgien que je ne peux pas entrer avant de lui avoir parlé. Je vais l’attendre ici. » En disant ces choses, elle sourit, essayant d’avoir l’air aussi amical et non menaçant que possible. Mais sa détermination ne fait aucun doute.

« Bon, je vais le lui dire », gémit l’assistant. Puis il retourne lentement vers la grande porte en bois qui empêche les personnes non autorisées d’entrer dans le bloc opératoire.

Pendant ce temps, la vieille dame prie. L’assistant prie, lui aussi ! Personne n’a jamais fait une telle demande auparavant, et il ne sait que trop bien ce que le chirurgien va dire. Ce ne sera ni gentil, ni joli… L’assistant ne veut pas transmettre un tel message.

Lorsque le chirurgien a terminé son travail dans la salle 1, son assistant lui tape légèrement l’épaule.

« Docteur, votre prochain cas, c’est la femme âgée qui a besoin de cette chirurgie très spéciale dont vous m’avez parlé plus tôt aujourd’hui. Elle est dans la salle d’attente et aimerait vous parler un tout petit moment avant d’entrer. »

C’est un chirurgien. Un grand chirurgien recherché, en particulier pour les cas difficiles. Personne ne lui dit quoi faire. Personne ! Encore moins une vieille dame qui va mourir s’il n’accomplit pas un miracle dans son corps. Pendant une fraction de seconde, il pense au message de l’assistant. Puis il explose.

Il blasphème. Il traite la vieille dame de tous les noms. Et son assistant aussi. Il blasphème de plus en plus fort. « Allez dire à cette femme de venir ici tout de suite, sinon, pas d’opération, et elle va crever ! ALLEZ LUI DIRE ÇA TOUT DE SUITE !!! »

L’assistant retourne auprès de la patiente. Dans une tentative de la raisonner, il lui explique gentiment que le chirurgien est terriblement occupé.

« Je vous en prie, dites-lui que je ne peux pas entrer dans la salle d’opération avant qu’il ne soit venu me parler », répond-elle.

L’assistant retourne voir le chirurgien. Celui-ci est en train de se brosser les mains et les bras en vue de la chirurgie de la vieille femme. L’assistant lui explique qu’elle ne viendra pas avant qu’il…

Le chirurgien se renfrogne, prononce à voix forte des mots choisis, et franchit la porte de la salle d’attente d’un pas lourd. Cette patiente, il va lui apprendre à vivre !

Avant même qu’il n’ait le temps de prononcer un mot, la femme se lève de sa chaise et le rejoint au milieu de la pièce, les mains tendues comme une mère saluerait un fils chéri.

« Docteur, commence-t-elle, pourriez-vous prier avec moi avant de m’opérer ? »

Cet homme est un chirurgien, pas un pasteur ! Ça fait des années qu’il n’a pas prié. Pas même pour lui. Pris complètement au dépourvu, il s’évertue à trouver une prière digne de ce nom. « Maintenant, je me couche pour dormir » lui vient à l’esprit. Mais non, c’est pas ça ! se dit-il tout de suite. Puis il entend le doux écho d’un instituteur de l’école primaire disant le « Notre Père » au début de la classe.

Il laisse la dame étreindre ses mains, puis ferme les yeux, comme s’il espérait lire les mots de la prière à l’intérieur de ses paupières.

« Notre Père », commence-t-il, n’ayant aucune idée des mots suivants ni de ceux que cette vieille femme pourrait trouver significatifs.

« Qui es aux cieux… »

De sa voix forte et amicale, la patiente prend le relais, comme si elle parlait à un ami intime. Et lui, il trébuche, essayant de faire correspondre ses mots aux siens.

« Que ton nom… »

Il balbutie, ne pensant pas aux mots, mais impressionné par la détermination de cette femme qui l’a poussé à faire quelque chose qu’il n’avait pas fait depuis des lunes. Il prie ! Il parle à Dieu ! Il lui demande son aide et promet de l’écouter, d’être aimable, de pardonner, et d’aimer.

La vieille dame termine. Elle peut maintenant franchir la grande porte en bois. « O. K. Je peux venir maintenant. Merci, Docteur, d’être ce que vous êtes : un grand chirurgien. »


Dick Duerksen, pasteur et conteur, habite à Portland, en Oregon, aux États-Unis.