La dépression et le système immunitaire de l'âme

Méditations spirituelles 06/03/2023

Par Alina Kartman | Signs of Times et Adventiste Magazine

« À celui qui est ferme dans ses intentions tu assures une paix profonde parce qu’il se confie en toi », écrit le prophète Esaïe. Certains en ont conclu que ceux qui ne connaissent pas la paix, c’est parce qu’ils n’ont pas un esprit sain ou une foi ferme.

La paix, ou dans un sens plus large le bien-être émotionnel, repose sur un système de soutien dans lequel la raison et la foi sont complémentaires. Mais ces deux éléments ne font pas tout. Et cela est plus facile à observer dans la douleur émotionnelle qu’éprouvent les serviteurs de Dieu.

La vocation de pasteur ne met pas à l’abri des troubles émotionnels. En fait, des recherches (américaines) montrent que les serviteurs de Dieu souffrent de dépression comme tout autre membre de la population mondiale. Les pasteurs sont même plus exposés à certains facteurs de stress auxquels la population générale n’est pas confrontée.

Une nouvelle étude a récemment été publiée par l’AdventHealth University en partenariat avec l’hôpital adventiste d’Altamonte Springs. Cette recherche donne aux ministres de culte de toute dénomination chrétienne l’occasion de participer à une étude régionale axée sur l’état émotionnel des ministres du culte dans l’État du sud-est de la Floride.

« À l’intérieur et à l’extérieur des lieux de culte, les chefs religieux jouent un rôle important dans la vie de nombreuses personnes. Ils sont une épaule sur laquelle pleurer et une source d’inspiration », a déclaré Orlando Jay Perez, vice-président du réseau AdventHealth. « C’est pourquoi il est important que leurs besoins mentaux, spirituels et émotionnels soient également satisfaits, et notre souhait concernant cette étude est qu’elle permette de mieux comprendre ces besoins ».

« Les troubles mentaux et émotionnels sont en augmentation et touchent de nombreuses personnes », a déclaré Martin Shaw, chercheur principal de l’étude. « Bien que le groupe des ministres de culte soit un groupe sous-étudié, il est crucial de mieux comprendre leur bien-être mental et émotionnel et les moyens d’atténuer les problèmes présents. Notre objectif ultime est de mieux comprendre comment prendre soin et soutenir les ministres de culte et les communautés qu’ils servent ».

Le chercheur a également déclaré que lui et son équipe s’attendent à ce que les résultats révèlent que les pasteurs/prêtres constituent une catégorie ayant besoin d’interventions liées à la santé et au bien-être général.

Les pasteurs et la souffrance mentale

Une étude de LifeWay Research a mis en évidence le fait que la santé mentale des pasteurs aux États-Unis ne s’est pas du tout améliorée, statistiquement, sur une période de 10 ans, jusqu’en 2014, date de publication de la recherche. Selon cette étude, à l’époque, plus d’un pasteur sur cinq souffrait d’un trouble mental quelconque.

Une autre étude, menée par le révérend Andrew Irvine du Knox College de Toronto, au Canada, a sondé l’opinion de plusieurs membres du clergé anglican, presbytérien, luthérien, baptiste et pentecôtiste. Plus de 1 250 enquêtes ont été envoyées à 30 % des membres du clergé canadien appartenant aux dénominations mentionnées. Les chercheurs ont reçu environ 338 réponses et les résultats sont loin d’être positifs.

La plupart des personnes interrogées a déclaré se sentir seule, insatisfaite et épuisé en raison des longues heures de travail. Certains ont même parlé d’une véritable « crise d’identité », disant qu’ils se sentaient comme des directeurs plutôt que des pasteurs.

La plupart des répondants à l’enquête ont déclaré que leur contrat de travail prévoyait deux jours de congé, mais qu’ils passaient la plupart de ces jours à travailler. Le manque de temps libre a été associé dans l’étude à la conviction de certains pasteurs « qu’ils sont indispensables et que l’église s’effondrerait en leur absence ».

Une autre étude publiée il y a quelques années, menée sur 1 726 pasteurs méthodistes de l’État américain de Caroline du Nord, a complété le tableau décrit ci-dessus : le taux d’anxiété des pasteurs atteint 13,5 %, dont 7 % souffrent de dépression en plus d’anxiété – une cause possible de ces résultats étant le fait que « les pasteurs ont créé un style de vie si profondément lié à leur ministère que leur état émotionnel dépend de la santé de leur ministère ».

« Il est inquiétant de constater qu’un pourcentage aussi élevé de ministres de culte souffrent de dépression alors qu’ils essaient d’inspirer leurs églises et leurs croyants, de diriger des communautés et des programmes de changement social, ou même d’offrir des conseils aux membres de leurs congrégations », a déclaré la coordinatrice de la recherche, Rae Jean Proeschold-Bell. « Nous préférerions confier ce genre de responsabilité à une personne ne souffrant d’aucun trouble mental, bien qu’il soit très probable que le défi même que représentent ces responsabilités soit à l’origine de ces taux élevés de dépression », a conclu l’experte.

Personne na honte dattraper un rhume

La religion ne devrait-elle pas protéger les pasteurs et les fidèles de la dépression ?

L’un des chercheurs les plus renommés étudiant la relation entre la religion et la santé mentale, Kenneth Pargament, affirme que la religion peut permettre aux gens de se découvrir plus forts après avoir traversé un événement stressant, voire traumatisant. Mais le même scientifique, qui est professeur émérite de psychologie à l’université Bowling Green dans l’État de l’Ohio, avertit que toute approche religieuse du stress n’est pas bénéfique.

Kenneth Pargament a identifié trois types de stratégies dans lesquelles les croyants utilisent la religion pour faire face à des situations difficiles. La première stratégie délègue l’entière responsabilité de la résolution du problème à Dieu (déférence) ; la deuxième stratégie place toute la responsabilité sur l’individu, qui peut choisir d’utiliser le pouvoir que Dieu lui a donné pour résoudre le problème par lui-même (auto-direction) ; la troisième stratégie est celle de la collaboration, dans laquelle l’individu et Dieu travaillent ensemble pour résoudre le problème.

Selon les études, les plus grands bénéfices psychologiques sont obtenus en adoptant la troisième stratégie. Celle-ci a été corrélée à un niveau plus élevé d’estime de soi et à un niveau plus faible de dépression, probablement aussi parce qu’elle implique une interaction positive avec la religion, en soulignant le pouvoir bénéfique (plutôt que punitif) de Dieu, qui pardonne et aide.

Le nombre d’études montrant que la religion peut être un allié pour faire face aux problèmes de la vie ne cesse d’augmenter. Cependant, faute d’une compréhension nuancée de cet avantage, beaucoup pensent que la religion est ou devrait être suffisante pour traiter tout type de problème de santé.

Identifier les causes physiologiques de la dépression permet d’atténuer ce trouble. Bien que la psychiatrie soit encore loin d’établir sans équivoque des mesures pour les troubles mentaux, les progrès réalisés jusqu’à présent nous invitent à reconnaître sans équivoque la dépression comme une maladie qui ne dépend pas de la volonté d’une personne ni même d’un déséquilibre chimique, comme on l’a cru pendant des décennies. « L’idée d’un déséquilibre chimique appartient à des schémas de pensée du siècle dernier », a déclaré le neurologue Joseph Coyle de la Harvard Medical School. « Les choses sont beaucoup plus complexes que cela ».

« Il est très probable que la dépression soit influencée par d’autres types d’anomalies que celles des neurotransmetteurs », ont noté Hal Arkowitz et Scott Lilienfeld pour la revue Scientifc American. « Parmi les problèmes associés à la maladie on trouve des irrégularités de la structure et du fonctionnement du cerveau, des troubles du circuit neuronal et de nombreux facteurs psychologiques, tels que les facteurs de stress quotidiens ».

« Bien sûr, toutes ces influences agissent en fin de compte au niveau physiologique. Toutefois, pour les comprendre, nous devons examiner le problème sous différents angles », ont déclaré les auteurs.

C’est pourquoi, alors que de moins en moins de personnes sont aujourd’hui prêtes à ignorer les conseils médicaux et à s’en remettre uniquement à la foi pour guérir, en ce qui concerne les troubles mentaux, les croyants devraient être plus disposés à considérer, sans aucune honte ni crainte, qu’il n’y a pas de concurrence entre le traitement scientifique (psychothérapie ± médicaments ± changement du mode de vie) et l’aide religieuse ; la religion ne doit pas seulement en sortir victorieuse, mais doit faire partie d’une collaboration très appropriée.

Fort, mais pas toujours suffisant

Il existe donc des facteurs structurels, fonctionnels, chimiques, sociaux et liés au mode de vie et, en plus de ceux-ci, des facteurs spirituels qui peuvent jouer un rôle dans la prévention et le développement des troubles mentaux. Attribuer l’apparition d’une dépression à des facteurs spirituels peut conduire, dans de nombreux cas, à ignorer d’autres facteurs qui, comme la science l’a déjà montré, peuvent avoir une influence décisive.

Cela a un double effet négatif. D’une part, c’est blâmer cruellement la victime lorsqu’elle ne consulte pas un conseiller pour vérifier si elle a adopté des schémas de pensée religieux destructeurs et lorsqu’on ne l’aide pas à les déconstruire. D’autre part, une focalisation exclusive sur la religion prive la personne souffrante de l’accès à des solutions réalisables qui pourraient provenir d’autres sources si la source de la dépression s’avère être autre que des erreurs spirituelles.

Si la source de la dépression d’un croyant est, par exemple, un manque de soutien social, il serait cynique pour quelqu’un de suggérer que cette personne devrait plutôt prier de manière plus intense et fidèle. C’est comme aller dans un village frappé par la pauvreté et la famine et dire aux gens de prier pour que Dieu remplisse miraculeusement leurs estomacs. En attendant, avec autant de foi que possible, qu’il manifeste sa puissance, n’oublions pas un aspect spirituel de bon sens : même Jésus ne s’est pas nourri par miracle alors qu’il avait faim.


De Alina Kartman, rédactrice en chef de ST Network et de Signe des Temps Roumanie


Traduction : Tiziana Calà