1888 et les charmes incomparables du Christ

Méditations spirituelles 24/11/2019

Denis Kaiser, Adventist World, Décembre 2019

La session de la Conférence générale qui s’est tenue à Minneapolis en 1888 constitue un paradigme pour de nombreuses autres luttes dans l’histoire de l’Église adventiste. Nous pouvons percevoir l’affrontement entre Ellet J. Waggoner, jeune rédacteur en chef de Signs of the Times, et George I. Butler, président de la Conférence générale, sur la nature de la loi dans Galates 3.24,25, comme un livre de jeu de personnalités humaines, un guide d’étude pour résoudre les conflits, et une introduction aux différentes vues du salut. La dynamique de ce conflit se répète sans cesse aujourd’hui.

UNE NOUVELLE THÉOLOGIE ?

Certains considèrent la session de la Conférence générale de 1888 comme un point tournant où les adventistes sont devenus vraiment chrétiens. Puisqu’il n’existe pas de procès-verbal de la session, certains ont étudié les écrits de Waggoner et de son associé A. T. Jones pour déterrer le vrai message de 1888. Quand Ellen White se fit demander après la session ce qu’elle pensait de la nouvelle lumière présentée par ces jeunes pasteurs, elle répondit : « Eh bien, c’est ce que je vous ai présenté pendant les 45 dernières années – les charmes incomparables du Christ. C’est ce que j’ai essayé de présenter à votre esprit (1). » De son point de vue, ce message ne constituait pas une nouvelle théologie.

Lors de la session de la Conférence générale de 1883, elle avait prêché 14 sermons qui étaient non seulement une présentation claire de l’Évangile, mais aussi une attaque passionnée contre le légalisme adventiste, ainsi que les doutes, les craintes, et le manque d’assurance qui en sont les conséquences naturelles (2). Que certains aient perçu le message de Waggoner et de Jones comme une nouvelle théologie, et qu’Ellen White ait abordé le légalisme adventiste cinq ans plus tôt expose néanmoins la triste réalité que pas tous les pasteurs et les membres de l’Église prêchaient et partageaient ces « charmes incomparables du Christ ».

DES PERCEPTIONS DIFFÉRENTES DE LA LOI

Dès 1846, les adventistes proclamèrent le message des trois anges comme décrivant ceux qui gardent les commandements de Dieu et ont la foi de Jésus (Ap 14.12). Une compréhension de base sur la perpétuité de la loi n’empêcha pas, toutefois, les premiers adventistes d’avoir des opinions différentes sur ce rôle. Ainsi, alors que Joseph Bates considérait l’obéissance comme une condition pour recevoir l’Évangile (3), James White, lui, insistait sur le fait que la repentance, le pardon, et l’obéissance sont rendus possible par la réception de l’Évangile (4).

Au cours des années 1850, les interprétations de la nature de la loi dans Galates 3 jetèrent les bases des discussions des années 1880. Plusieurs écrivains adventistes avaient souligné que Galates 3 présente la loi morale (les dix commandements) comme un miroir révélant que nous sommes des pécheurs ayant besoin d’un sauveur (5). Cette position se rapprochait de celle de nombreux protestants qui maintenaient que Galates 3 parlait de l’abolition des commandements. En 1857, la réponse catégorique de Stephen Pierce disant qu’il fallait que ce soit la loi cérémonielle qui ait été abolie, et pas les dix commandements, semblait servir de meilleur argument contre la vision protestante prévalante du texte (6). Son argument devint la position standard parmi les adventistes pendant les trois prochaines décennies.

Au fil des années, les pasteurs adventistes devinrent des experts en débat avec les autres pasteurs protestants au sujet des croyances adventistes uniques. Les spectateurs se convertissaient souvent à l’adventisme parce que les pasteurs adventistes, à l’évidence, connaissaient bien leur Bible et remportaient souvent ces débats compétitifs. Naturellement, de tels débats se focalisaient sur les particularités adventistes plutôt que sur les points chrétiens communs. En outre, les convertis adventistes pensaient vraisemblablement qu’ils obtenaient le salut en observant le bon jour et en faisant les bonnes choses.

LA LOI ET L’ÉVANGILE DANS LES ANNÉES 1880

Depuis au moins 1884, Waggoner et Jones enseignèrent dans la revue Signs of the Times et à l’Institut d’enseignement supérieur Healdsburg les anciennes interprétations adventistes, à savoir que la loi dans Galates 3, laquelle nous conduit à Christ, était la loi morale plutôt que la loi cérémonielle. Cependant, les années 1880 ne furent pas un moment propice pour présenter cette interprétation aux adventistes. D’autres protestants initièrent des campagnes politiques pour promulguer et faire appliquer la législation du dimanche à tous les paliers – local, état fédéral, et national. De nombreux individus considéraient que ces efforts promouvaient la moralité américaine. Lorsque James Gibbon, cardinal de l’Église catholique romaine, joignit son influence et son soutien pour une loi du dimanche nationale, les adventistes crurent alors que les prophéties d’Apocalypse 13 et les persécutions de « la marque de la bête » étaient sur le point de se concréiser (7). Puisque l’interprétation de Waggoner de la loi dans Galates semblait terriblement proche de la vision protestante largement répandue sur ce passage, on peut comprendre pourquoi Butler et les autres estimaient que la « nouvelle » interprétation de Waggoner était un coup bas à un moment des plus malheureux.

Considérant la position de Pierce sur Galates 3, une doctrine emblématique, Butler sentit qu’il devait s’attaquer à ce sujet. Premièrement, il essaya de solliciter le soutien d’Ellen White en lui demandant une lettre sur cette question qu’elle avait envoyée au père de Waggoner 30 ans plus tôt. Elle répondit qu’elle n’avait pas retrouvé la lettre, et ajouta que même si elle l’avait
retrouvée, elle ne la lui aurait pas donnée. Elle dit à Waggoner qu’il devait se retenir d’agiter le sujet en public. Se sentant justifié, Butler publia un livre, The Law in the Book of Galatians (1886), en réponse à la vision de Waggoner (8). Il le fit circuler parmi les délégués de la session de la Conférence générale de 1886. Butler sentit qu’il avait eu raison lorsque D. M. Canright, un célèbre pasteur adventiste, devint apparemment une victime de la vision de Waggoner en rejetant la perpétuité de la loi deux mois après la session de 1886. Au grand chagrin de Butler, Ellen White lui reprocha la publication d’un tel livre, et souligna que puisqu’il avait pris la liberté d’annoncer sa vision, Waggoner devrait avoir, lui aussi, l’occasion d’expliquer la sienne – ce qu’il fit deux ans plus tard dans le livre The Gospel in the Book of Galatians (9).

Lors de la session de la Conférence générale de 1888, Waggoner et Jones eurent l’occasion de présenter leur vision sur la loi dans Galates. Butler, incapable d’y assister pour cause de maladie, prépara ses alliés à s’opposer à la présumée hérésie. Ellen White constata que le vrai problème de la réunion ne résidait pas tant dans les différences théologiques que dans l’esprit irréconciliable et hostile du parti de Butler. Cet esprit « n’était pas l’esprit du Christ » (10). Satan ne voulait pas que ce message soit entendu parce que « sa puissance serait brisée » « si les gens le recevaient pleinement » (11).

LA LOI DANS LES DEUX FORMES MÈNE À CHRIST

Nous sommes souvent incapables de penser en dehors des paramètres qu’un individu a établis dès le début d’une discussion. Parfois, ces mêmes paramètres constituent une fausse dichotomie. Cependant, quand un sujet nous passionne, nous pouvons manquer de reconnaître la futilité de la discussion.

Pendant des années, des membres et des pasteurs ne virent que deux options opposées. La loi dans Galates 3 était soit la loi cérémonielle, soit la loi morale. Plus d’une décennie plus tard, Ellen White fit une remarque fort étonnante qui brisa les paramètres de la discussion. Elle nota que « le pédagogue pour nous conduire à Christ » était « la loi cérémonielle et le code moral des dix commandements ». Tandis que les dix commandements nous révèlent notre état de pécheurs ayant besoin d’un sauveur, la loi cérémonielle nous montre comment et par qui Dieu nous débarrasse du problème du péché (12). Peu après la session de la Conférence générale de 1888, Ellen White évoqua que les adventistes avaient certainement fait la promotion des « commandements de Dieu » ; par contre, « la foi de Jésus-Christ n’a pas été proclamée […] avec une importance égale ». Tandis qu’on « parlait » de la foi de Jésus, on ne la « comprenait pas ».

Cependant, qu’est-ce qui constitue la foi de Jésus ? Voici sa réponse : « Jésus est devenu celui qui se charge de nos transgressions, afin de pouvoir devenir notre sauveur qui pardonne. Il a été traité comme nous méritions de l’être. Il est venu dans notre monde et a pris nos péchés pour que nous puissions revêtir sa justice. La foi dans la capacité du Christ de nous sauver est amplement, pleinement, et entièrement, la foi de Jésus (13). »


1 Ellen G. White, manuscrit 5, 1889, dans Ellen G. White, Sermons and Talks, Silver Spring, Md., Ellen G. White Estates, 1990, vol. 1, p. 116, 117.

2 Publié de façon intermittente dans Review and Herald, du 4 mars au 22 juillet 1884.

3 Joseph Bates, A Seal of the Living God: A Hundred Forty-four Thousand, of the Servants of God Being Sealed in 1849, New Bedford, Mass., Benjamin Lindsey, 1849, p. 60-66.

4 [James White], dans Present Truth, août 1849, p. 16.

5 J. N. Andrews, dans Review and Herald, 16 septembre 1851, p. 29 ; J. N. Andrews, Thoughts on the Sabbath, and the Perpetuity of the Law of God,Paris, Me., James White, 1851, p. 22, 25.

6 S. Pierce, dans Review and Herald, 8 octobre 1857, p. 180, 181.

7 W. W. Whidden, E. J. Waggoner: From the Physician of Good News to Agent of Division, Hagerstown, Md., Review and Herald Pub. Assn., 2008, p. 92-94.

8 G. I. Butler, The Law in the Book of Galatians: Is it the Moral Law, or Does it Refer to That System of Laws Peculiarly Jewish?, Battle Creek, Mich., Review and Herald Pub. Assn., 1886.

9 E. J. Waggoner, The Gospel in the Book of Galatians: A Review, Oakland, Calif., n.p. 1888.

10 Ellen G. White, lettre 50, 1889, dans Ellen G. White, The Ellen G. White 1888 Materials, Washington, D.C., Ellen G. White Estate, 1987, vol. 1, p. 295.

11 Idem., dans Review and Herald, 3 septembre 1889, p. 546.

12 Idem., manuscrit 87, 1900, dans Ellen G. White, Messages choisis,
vol. 1, p. 274.

13 Idem., manuscript 24, 1888, dans Ellen G. White, Manuscript Releases, Silver Spring, Md., Ellen G. White Estate, 1993, vol. 12, p. 193.

Denis Kaiser est professeur adjoint de l’histoire de l’Église au Séminaire adventiste de théologie, à l’Université Andrews.