Le suicide

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Quels que soient les moyens employés, les circonstances et les intentions, le suicide consiste à mettre fin à sa vie par un acte dirigé contre soi ou par l’omission voulue de mesures pouvant la sauver. Il est à distinguer de la tentative de suicide en tant qu’acte intentionnel nuisant à soi- même mais n’entraînant pas la mort.

Des faits auxquels chacun peut être confronté

« Environ trois mille personnes se suicident chaque jour dans le monde, soit une victime toutes les trente secondes en moyenne », a déclaré l’OMS à l’occasion de la journée mondiale de prévention du suicide (2007). Pour chaque personne mettant fin à ses jours, vingt autres au moins font une tentative de suicide. L’OMS relève à ce propos que le traumatisme émotionnel subi par l’entourage d’une personne suicidaire ou suicidée « peut durer de nombreuses années ».

L’augmentation de la fréquence des suicides chez les jeunes est largement soulignée dans nos sociétés occidentales. Il est vrai que ceux-ci interpellent les familles et les communautés tant l’interruption brutale d’une vie en plein développement revêt un caractère tragique. Toutefois, les statisticiens attirent notre attention sur le fait que l’accroissement du nombre des suicides chez les personnes âgées constitue un phénomène historique sans précédent.

Les suicides ne se ressemblent pas, ni sur le fond, ni sur les raisons qui poussent les personnes à cet acte. Chaque suicide est unique et la liste des causes est multiple. Si certains sont dus à une maladie mentale, d’autres sont le résultat d’un acte délibéré trouvant sa source dans certaines positions philosophiques, dans de grandes souffrances physiques ou morales, ou dans une perte de dignité. Des personnes âgées demandent souvent un suicide assisté en cas de maladie invalidante et incurable.

Les adolescents ou les jeunes adultes attentent généralement à leurs jours, non à cause de grandes souffrances physiques ou de dépression, mais par suite d’un mal-être dans la construction ou le vécu de leur identité. De nombreux cas de conduites à risque (sports extrêmes par exemple) sont des suicides déguisés ; mais les personnes – surtout des jeunes – ne disent pas leur volonté suicidaire, et leur mort apparaîtra comme accidentelle.

Il n’est pas rare que des pasteurs ou des responsables de jeunes chrétiens entendent des propos exprimant directement ou indirectement des pensées suicidaires. Le nombre de suicides chez les jeunes chrétiens est en hausse.

« Les jeunes doivent aujourd’hui faire face à toutes sortes de défis, ils doivent être performants en permanence dans le domaine sportif ou académique […] Malheureusement, le suicide des jeunes continue à être la solution finale à des problèmes douloureux, mais temporaires » Scott Stevens. Généralement, le motif est disproportionné par rapport à l’acte, et la décision de mettre fin à sa vie est prise rapidement, sans qu’il y ait une pathologie mentale. C’est pourquoi le Dr Patrice Huerre pense que « ceux qui attentent à leur vie ont rarement l’intention de mourir ».

Basculer du côté du suicide est donc l’aboutissement d’une trajectoire extrêmement complexe où s’entremêlent des facteurs aussi différents qu’une psychopathologie personnelle, l’éducation reçue, le style de vie, des événements passés ou récents, les circonstances de la vie, etc. L’Église adventiste n’échappe ni au phénomène du suicide, ni à celui des apriori et des étiquettes collées sur le suicidé et sur ses proches.

La vie est le don le plus précieux que Dieu ait confié à l’humanité. L’alliance qu’il propose est fondée sur les principes de la vie et de la relation de l’homme avec son Dieu et des humains entre eux. Le projet divin pour l’homme n’est certes pas qu’il mette fin à sa vie, encore moins qu’il puisse penser que Dieu l’y encourage. Par cohérence avec le plan initial de Dieu, il est difficile pour le croyant – et pour une Église – d’être d’accord avec le principe du suicide.

Toutefois, des siècles de culture judéo-chrétienne ont permis le développement de toute une série de postulats et de préjugés plus ou moins ancrés dans les consciences faisant du suicide un acte impardonnable pratiquement synonyme de perdition éternelle. Il est temps de dénoncer les croyances toutes faites et les convictions malheureuses face à ce drame humain et à ceux qui le subissent et de retrouver une vision et un comportement en accord avec le message de l’Évangile.

Le suicide est-il condamné par la Bible ?

Certains tirent argument du commandement : « Tu ne tueras point » (Exode 20.13) pour affirmer la condamnation biblique du suicide.

Les Églises chrétiennes sont généralement muettes face au suicide, sans doute parce que la Bible n’est pas explicite et ne s’est pas prononcée ouvertement à ce sujet. L’enseignement biblique peut cependant conduire à une attitude plus humaine envers ceux dont la vie est ou a été touchée par le suicide.

A. Textes parlant directement du suicide

L’Ancien Testament présente cinq récits de suicide, tous perpétrés dans un contexte de guerre. Le Nouveau Testament ne rapporte que le suicide de Judas. Chaque Testament relate aussi une tentative de suicide. On ne constate dans ces récits aucun indice de condamnation du suicide en soi. On ne trouve nulle part un jugement moral ou une interdiction formelle de se donner la mort.

1. Abimélec (Juges 9.50-57)

Abimélec n’est pas un personnage anodin. Issu d’une relation de son père (Gédéon Yerrubaal) avec une concubine de Sichem, il tente d’instaurer la royauté dans cette région. Il est finalement porté sur le trône par les Cananéens de Sichem et, pour se maintenir au pouvoir, il n’hésite pas à assassiner ses frères. Il ne règne que trois ans. Les circonstances de sa mort ne sont pas vraiment glorieuses. Le texte biblique présente celle-ci non comme un suicide mais comme un fait de guerre. Il reçoit sur la tête un morceau de meule de moulin jeté par une femme et, sérieusement blessé, il demande à son serviteur de lui donner la mort. Suicide ou première mort assistée ? En tout cas, le récit affirme que la rétribution divine est en rapport avec les péchés d’Abimélec, mais rien n’indique qu’elle soit mise en rapport avec le suicide lui-même. En outre, il apparaît clairement dans ce récit qu’à cette époque, le suicide était moins déshonorant que la mort par la main d’une femme (v. 54).

2. Samson (Juges 16.27-31)

Le nom de Samson évoque dans bien des esprits l’image d’un valeureux héros doté d’une force physique peu commune, mais aussi d’un homme piégé par sa sensualité. Sa fin de vie ressemble assez à un attentat suicide ; on parlerait peut-être de nos jours de kamikaze ! Furieux d’avoir été trompé, dupé, il se suicide en entraînant dans la mort plusieurs milliers de personnes. Or, le texte ne comporte aucune condamnation de son acte et Samson figure dans la liste des héros de la foi (Hébreux 11). Ce récit de mort volontaire choisie est un exemple du sacrifice suprême, fréquent surtout en cas de guerre. Ainsi la relation entre suicide et sacrifice de soi est beaucoup plus complexe qu’elle n’apparaît à première vue. Une remarque : le texte original pourrait se traduire ainsi : « Laisse mourir mon âme ». Le sens de cette requête dépasse le simple sens d’une mort physique. Elle implique une sorte d’anéantissement face à une charge devenue insupportable et à laquelle Samson veut échapper. Peut-être le poids du remords était-il tel qu’il décida de mourir tout en se vengeant.

3. Saül (1 Samuel 31.1-13 ; 2 Samuel 1.1-16)

Premier cas concret et apparemment incontestable de suicide dans la Bible : Saül, grièvement blessé par des archers, demande à son porteur d’armes de ne pas le laisser tomber vivant aux mains des ennemis. La honte serait trop grande, le déshonneur trop lourd à endurer ! Mais le jeune homme refuse. Saül va alors se suicider en s’empalant sur son épée induisant ainsi la fin tragique de son porteur d’armes qui l’imitera dans ce geste de désespoir. Le texte ne se termine pas avec le récit de la mort tragique de Saül, mais avec la mise en valeur de la vaillance des hommes de Jabès en Galaad qui, au risque de leur vie, viennent récupérer le corps de Saül afin de pouvoir le traiter avec respect. Plusieurs fois, par la suite, des passages indiquent de quelle manière les Israélites ont gardé la mémoire de leur premier roi. À la mort de Saül, le peuple éprouve une grande tristesse. Le psaume de 2 Samuel 1.24,25a pourrait avoir été écrit par David. L’accent porte sur la peine des Israélites suite à la mort de Saül. Ce chagrin était le sentiment dominant au moment où le récit a été écrit et accepté, sans aucune allusion à la manière dont le roi était mort.

Plus tard, David appellera sur les hommes de Jabès en Galaad la bénédiction de Dieu pour leur loyauté à leur défunt roi. Ainsi, ceux qui ont honoré et révéré Saül ont été respectés et favorisés par David. Le récit de 1 Chroniques 10 semble surtout vouloir exalter David par rapport à Saül. Mais, malgré les dures condamnations à l’encontre de Saül, le texte ne fait aucune allusion à la façon dont celui-ci est mort. Dans 2 Samuel 21, où l’on assiste à l’exécution de sept descendants de Saül, on voit David honorer encore Saül. Une fois de plus, on ne s’intéresse nullement à la façon dont Saül est mort. Ni Saül ni son serviteur ne semblent avoir été condamnés pour leur acte. Juste après le récit, court mais détaillé, de ce double suicide, on trouve une autre version du drame, présentée cette fois par un jeune Amalécite qui, ayant assisté à la scène (2 Samuel 1.1- 16), prétend avoir tué Saül à sa propre demande. Ce jeune homme ambitieux semblait vouloir se mettre en valeur. David le tua pour avoir porté la main sur l’oint de l’Éternel (v.14).

4. Achitophel (2 Samuel 17.23)

Nous sommes encore ici en présence d’un cas typique de suicide, toujours sur fond de guerre. C’est le prototype d’une forme de suicide par mort volontaire, rencontrée dans certaines cultures, lorsqu’une personne de confiance s’aperçoit que son avis ou ses efforts sont négligés. Il est surprenant de constater que le récit ne mentionne pas de honte ou de châtiment d’Achitophel. Il n’est pas considéré comme un banni et il est enterré dans le tombeau paternel. Le fait de se suicider ne le prive pas d’une sépulture correcte et honorable.

5. Zimri (1 Rois 16.15-19)

Le règne de Zimri, un roi autoproclamé, dura sept jours. Face à la rébellion du peuple et d’Omri, chef de l’armée, Zimri est assiégé dans le palais royal. Voyant sa cause perdue, il allume lui- même l’incendie et s’immole par le feu. La Bible dit que Zimri est mort à cause de ses péchés ; mais elle ne retient pas contre lui le choix de sa mort.

6. Jonas (Jonas 1.4)

Nous voici en face d’une tentative de suicide. Le narrateur ne clarifie pas totalement la motivation de Jonas. Était-il quelqu’un de suicidaire ? En tout cas, on ne trouve pas dans le texte de condamnation de ce comportement. Le récit révèle par contre une facette significative de la personnalité de Dieu qui a pu accomplir une grande oeuvre par le biais d’un homme ayant voulu se supprimer.

7. Judas (Matthieu 27.3-5 ; Actes 1.16-19)

Le suicide de Judas est probablement le cas biblique le plus célèbre. Deux récits différents nous rapportent sa mort. Matthieu relate la pendaison volontaire de Judas comme un fait avéré. Les Actes racontent une autre version de sa mort, se terminant par un verset ambigu (v .19). Faut-il y voir une condamnation du suicide ? Pourquoi une telle différence entre les deux récits ? Sont-ils antinomiques ? Un suicide et un accident ne sont ni comparables ni assimilables ! L’explication la plus courante est que Judas s’est effectivement pendu, probablement à un arbre situé sur le terrain acheté par les sacrificateurs et les anciens avec les trente pièces d’argent. Les cordes utilisées pour se pendre auraient fini par se rompre sous le poids de son corps et, en tombant, il se serait éventré, comme le rapporte Actes 1.18.

8. Le geôlier de Philippes (Actes 16.19-34)

Le texte relate ici une tentative de suicide arrêtée in extremis par l’apôtre Paul. Le récit ne mentionne pas clairement la raison pour laquelle le geôlier a envisagé de se suicider. Probablement pour échapper au mépris, au déshonneur, à la torture et à la mort. Nous savons seulement que Paul est intervenu rapidement et fermement, le stoppant dans sa démarche en le rassurant.

La Bible ne fournit donc aucun fondement sérieux à la condamnation sans appel du suicide, qui cependant deviendra la position officielle de l’Église après quelques siècles. Puisque les actes de suicide rapportés dans les récits bibliques ne sont jamais présentés comme un péché impardonnable, c’est donc l’Église chrétienne qui, au cours des siècles, a chargé le suicide de cet aspect rédhibitoire à la vie éternelle.

Mais outre les situations et les textes et mentionnés ci-dessus, nous pourrions mettre en exergue différents récits bibliques dans lesquels certains héros présentent de très nettes tendances suicidaires. Moïse, fatigué et lassé par les récriminations incessantes du peuple, demande à Dieu de le faire mourir (Nombres 11.12-15). Job en vient également à émettre des idées, des aspirations morbides (Job 3.1,11,12). Élie, en proie à une dépression profonde, demande à Dieu qu’il lui reprenne la vie (1 Rois 19.4). 7

B. Textes cités dans l’argumentation biblique par rapport au suicide

1. Condamnation du suicide

Plusieurs faits bibliques sont cités dans le sens d’une condamnation du suicide. Aucun d’entre eux ne parle explicitement du sujet, mais ils sont pris comme fondement à trois types de raisonnement.

a)  Dieu est le Créateur de toute vie et donc, lui seul peut mettre fin à une vie. Le suicide est la violation de la création de Dieu (Gn 1 ; 2 ; 9.6 ; Dt 32.39 ; 1 S 2.6 ; Ps 104.27-30 ; Pr 8.34-36 ; Ec 3.1-3 ; Jn 1.1-5). Job a longtemps été considéré comme l’exemple d’un homme qui, en dépit d’une extrême souffrance, a refusé de mettre fin à ses jours (Jb 1.20,21).

b)  Dans ses injonctions, Dieu a spécifiquement interdit de disposer de sa propre vie et d’y mettre fin (Ex 20.13 ; Dt 4.9 ; 5.17 ; 30.19,20 ; Ez 18.31,32 ; Mt 10.28 ; Lc 12.4,5 ; 1 Co 6.19,20 ; Ep 5.29 ; 6.10-13 ; 1 P 1.6-9).

c)  Dans la Bible, Dieu nous offre le récit de la vie de ceux qui ont refusé de se suicider, même dans la souffrance. Ces vécus ont été lus par des chrétiens comme des exemples à suivre, s’opposant ainsi à l’acte suicidaire et confirmant ainsi d’autres textes bibliques (Jb 2.9,10 ; Jon 1.12 ; Ps 23.1 ; Mt 4.5-7 ; Lc 4.9-12 ; Rm 8.28 ; 2 Co 11.30-32).

2. Le suicide acceptable ?

Si le suicide n’est certainement pas un acte qu’on pourrait intentionnellement encourager, certains chrétiens ont perçu dans certains textes des raisonnements permettant de considérer le suicide comme acceptable.

a) Le rejet du temps présent

Le message biblique a été parfois interprété comme une condamnation sans appel de ce monde. Pris à l’extrême, ce rejet rend plus facile le choix du suicide (Mt.10.39 ; Lc 9.24 ; 14.26,27 ; Jn 12.25 ; 21.18,19 ; Rm 8.18-23 ; Ph 1.21-23 ; 1 Jn 2.15-17 ; Ap 21.1-5).

b) Textes admettant, voire appelant le sacrifice de soi

Les morts volontairement choisies, et quels qu’en soient les motifs, doivent être incluses dans la définition du suicide. Aucune incitation précise à décider de soi-même des circonstances de sa propre mort n’est exprimée clairement dans la Bible (Dn 3.16-18 ; Mc 8.34,35 ; 10.42-45 ; Lc 23.28-31 ; Jn 10.11-15 ; 13.37 ; Ac 20.22-24 ; Rm 5.7 ; 2 Co 1.8 ; 1 Jn 3.16 ; Ap 9.6).

Enfin, on ne peut achever un tour d’horizon biblique et théologique sans rappeler l’insistance du texte sacré sur la nature universelle de l’amour et de la grâce de Dieu. Dieu est présenté comme étant le Père qui aime, qui ne condamne pas mais qui pardonne et offre la réconciliation (Rm 8.1,2,10,11,28 ; 14.7-12 ; 2 Co 5.1-10 ; 1 Jn 1.5-7). Rien ne peut nous séparer de cet amour de Dieu, si ce n’est le péché contre le Saint-Esprit (Mt 12.32 ; Mc 3.28-30 ; Rm.8 38,39).

La pensée chrétienne face au suicide

Pendant des siècles, l’Église refusa de comprendre le suicide et les circonstances qui y mènent. Aucun débat public n’était possible car le suicide était un sujet tabou. Les proches du suicidé étaient mis au ban de la société. Les Églises n’accordaient pas de funérailles publiques et religieuses aux suicidés. Du coup, les personnes entretenant des idées suicidaires ou les proches des suicidés se retrouvaient seuls dans leur détresse, sous le poids d’une terrible culpabilité, pris en otage par une « pensée correcte » mais non vraiment étayée d’un point de vue biblique. Toutefois, dans les récits chrétiens de la période des Pères apostoliques (96-150), on ne trouve pas de condamnation explicite du suicide. Il est rejeté par certains tout simplement parce qu’on l’associe à la personne de Judas.

Saint Augustin (354-430), l’un des auteurs qui a le plus influencé la pensée chrétienne, engage la polémique contre le suicide. En effet, nombre de chrétiens faisaient le sacrifice de leur vie. Ses attaques étaient en grande partie des réponses à un mouvement hérétique naissant, les Donatistes, qui perturbait les croyants de l’époque. Leur sous-groupe le plus radical, les Circumcelliens, encourageait avec force le suicide comme acte de piété. Augustin utilise des arguments bibliques fondés sur des considérations rationnelles. Il cite souvent le commandement : « Tu ne tueras point ». Il a été le premier à en déduire que cette interdiction de tuer incluait également l’interdiction de se suicider. Le rigorisme d’Augustin, qui peut se comprendre dans ce contexte, a grandement influencé les mentalités européennes.

Au cours des siècles, différents conciles ont condamné les suicidés et ont refusé la cérémonie funèbre à tous ceux dont le suicide était notoire. En 806, le pape Nicolas 1er a réaffirmé cette interdiction des funérailles chrétiennes aux suicidés.

Thomas d’Aquin, le théologien le plus important du Moyen Âge, s’est exprimé lui aussi sur le suicide par des propos qui, encore à ce jour, marquent la doctrine catholique officielle. Dans sa Somme théologique, il est amené à parler de l’homicide, et dès lors du suicide. Il est d’accord avec Augustin pour dire que le suicide est la violation d’un commandement, et il affirme que c’est un péché contre Dieu. Notons que bibliquement, la position est défendable. Le but, le plan, le projet divin est que l’homme vive, et qu’il vive heureux. Toutefois, les arguments de Thomas d’Aquin sont un mélange d’éléments empruntés à la fois à la Bible et au droit privé romain. L’image de Dieu ressemble beaucoup à l’image du pater familias qui, entre autres, avait droit de vie et de mort sur sa femme, ses enfants et ses esclaves.

Ensuite, l’Église du Moyen Âge a qualifié le suicide de péché mortel, au sens strict du terme. Aucun repentir n’étant possible, le suicidaire se privait lui-même, par son acte, du pardon de l’Église. C’est pourquoi l’office des morts et les obsèques dans un cimetière catholique leur étaient refusés.

Sans exception, les Réformateurs continuèrent à s’opposer au suicide, pour les raisons habituelles longtemps acceptées comme valables. Toutefois, Luther mit en avant les aspects individuels et personnels. Il reconnut des raisons objectives au suicide en dehors de la décision libre (et donc pécheresse) du coupable. L’Église devait donc protéger les personnes à risque et leur transmettre le soutien spirituel de l’Évangile afin de les empêcher de se suicider. Luther faisait ainsi une subtile distinction entre le suicide, geste criminel, et l’auteur du suicide, cet être humain qui ne doit pas être condamné (car il est une victime), qui n’est pas exclu de la grâce divine et qui a donc droit à un enterrement semblable à celui des autres défunts.

De nombreux types de comportements rencontrés aujourd’hui encore dans notre société et dans notre Église face au suicide remontent à l’influence de la pensée chrétienne en Europe.

C’est récemment que le regard porté sur le suicide a changé, ouvrant ainsi la voie à la modification des pratiques funéraires des Églises. L’Église catholique autorise actuellement une cérémonie d’enterrement pour les suicidés. Du côté protestant, il n’y a pas de position officielle. Bien que l’Église adventiste n’ait pas pris de position clairement définie sur le sujet, la pratique du refus de cérémonie semblait majoritaire. Toutefois, on voit se développer actuellement une approche plus relationnelle des rites entourant l’inhumation.

Notons qu’à partir du XIXe siècle, la réflexion sur le suicide est sortie du champ d’analyse exclusif de la philosophie et de la théologie, et il est devenu un objet de recherche des sciences sociales. Durkheim a fortement influencé le débat sur le suicide. Il a montré de quelle manière la société elle-même était un élément important dans la décision de recourir au suicide. Il a constaté que les sociétés les plus primitives étaient davantage permissives que les sociétés médiévales ou modernes dans le jugement sur cet acte. Dans le même temps, la discussion sur les arguments moraux s’est peu à peu éclipsée en faveur des discours liés à la psychologie et à la psychiatrie. On a alors décrit le suicide comme une réalité à combattre dans tous les cas, dans la mesure où il présente un caractère pathologique. À la condamnation morale dont le suicide est l’objet s’ajoute le devoir de l’empêcher quand il devient prévisible.

Cette position a semblé évidente jusqu’à tout récemment. Elle est actuellement sujette à des controverses difficiles à apaiser. En effet, n’y a-t-il pas une liberté de disposer de sa vie ? Il semble qu’aujourd’hui un certain consensus se dessine autour du refus de mesures de contrainte physique. Selon cette position, la prévention du suicide ne devrait pas être acharnée, mais modérée. Le suicide serait-il une option qu’on peut revendiquer comme un droit ? Nous nous trouvons face à des personnes atteintes d’une infirmité physique, séquelle d’une maladie mortelle avancée ou d’une limitation durable de leur mobilité. Cette situation nouvelle donne au suicide une dimension rationnelle. Des personnes se mettent à évaluer les pour et les contre d’un tel acte pour prendre finalement une décision personnelle et en choisir les modalités.

À propos de prévention

L’éthique chrétienne devrait amener les croyants et les communautés à faire face avec amour et respect aux situations de crise qui mènent au suicide ou qui en découlent. Trop souvent, l’Église adopte, dans le dit ou le non-dit, une attitude de jugement qui dénie ou rejette les êtres en souffrance plutôt qu’elle ne les soutient.

Prévenir le suicide, est-ce une tâche individuelle ou collective ? Pour l’éthique comme pour la psychologie, l’homme est d’abord un être de communication. Il doit donc soigner ses relations. Tout acte, tout geste s’inscrit dans ce contexte. Tout comportement est donc réponse ou articulation d’une réponse, fût-elle d’évitement, voire de déni. C’est pourquoi le suicide de quelqu’un est aussi un événement collectif et pas seulement un acte individuel.

Pourtant, le groupe se décharge facilement de sa responsabilité dans ce domaine. Il nie l’acte en tant que suicide, par exemple. Ou il cherche à le réduire à sa dimension individuelle en l’expliquant comme manifestation d’une pathologie à laquelle il n’a aucune part : « il ou elle était dépressif », « en crise », « mal dans sa peau », « fou ». Le tabou dont on entoure les actes suicidaires et la difficulté éprouvée à mettre des mots sur ses sentiments et ses ressentis témoignent aussi de cette tendance.

Or, l’interrogation devrait être : Qu’avons-nous fait de lui, d’elle, plus généralement du monde humain que l’on partage pour que cet être fasse le choix de s’en retirer définitivement et brutalement ? Le suicidé, par son geste, nous adresse un message pouvant se résumer ainsi : « Ce monde est trop dur et trop sourd, mes appels au secours n’ont suscité que votre indifférence ou votre impuissance, me renvoyant à ma responsabilité propre. Vous avez été particulièrement sourds au sens de mon silence ou de ma réserve. Je ne supporte plus de devoir porter seul cette souffrance. » Nul n’a la maîtrise de la relation : chacun de nous est impliqué, formé et façonné par elle, puis y intervient et agit à partir de ce qu’il a reçu. Malheureusement, la société contemporaine, sous l’emprise de la compétitivité à outrance, est un lieu de non-relation et, à ce titre, devient pathogène.

Dans ce contexte, l’Église devrait être un lieu de relation et de communication, d’écoute et d’encouragement, de respect et de vécu de l’alliance d’amour de Dieu. Dans cet espace de création de liens, les souffrances peuvent être exprimées et entendues, l’amour inconditionnel de Dieu peut être affirmé et expérimenté. Il est possible d’établir et de consolider des réseaux, des groupes de soutien, de partage, d’écoute. Seules des actions allant dans ce sens peuvent constituer une véritable démarche de prévention à long terme.

Chaque chrétien devrait adopter un comportement plus fraternel. La compassion humaine envers ceux qui sont dans la peine ou qui ont besoin d’être soutenus est si profondément enracinée dans la Bible qu’elle n’appelle que peu ou pas de commentaires. Or, beaucoup de chrétiens demeurent impitoyables dans leur comportement envers les personnes qui sont découragées. Celles-ci, par crainte d’être critiquées, n’osent pas raconter leurs problèmes. Quand arrive la tragédie du suicide ou quand elle est imminente, tout doit être fait pour réconforter et fortifier la personne qui souffre et qui a perdu courage.

Heureusement, la grande majorité des personnes qui ont des idées suicidaires ne passent pas à l’acte. Selon les spécialistes, la tentative de suicide serait le plus souvent un appel au secours, une protestation contre la vie, plus qu’un véritable désir de mort. Malgré tout, l’entourage doit quand même tenir compte des idées noires qui, si elles se perpétuent, peuvent aboutir à l’acte irréversible.

On déplore chaque année en France près de 200 000 tentatives de suicide. Certaines catégories de population sont plus exposées que d’autres : les divorcés ou séparés, les veufs, les célibataires, les chômeurs, les retraités. 30 à 40 % des personnes ayant attenté une fois à leur vie sont susceptibles de récidiver dans les années qui suivent, 10 % décéderont par suicide dans les dix ans à venir. Chez les femmes, les hospitalisations pour tentative de suicide sont très nombreuses dès l’adolescence, et elles restent à un niveau élevé jusqu’à 55 ans. Par contre, chez les hommes, les séjours sont moins fréquents à l’adolescence puis augmentent rapidement jusque vers quarante-cinq ans. À partir de cinquante-cinq ans, l’hospitalisation motivée par une tentative de suicide devient beaucoup plus rare pour les hommes comme pour les femmes.

Les causes de suicide sont très variées et uniques pour chacun. Le désespoir semble être un point commun que l’on retrouve chez les candidats au suicide. Parmi les causes les plus courantes, citons : la perte d’un être cher suite à un accident ou à une maladie ; le sentiment d’échec, qu’il soit professionnel, scolaire, social ou relationnel ; le stress excessif dans le milieu du travail ; l’abus de drogues ou d’alcool et un état de déprime sous-jacent.

Les personnes suicidaires ont besoin d’interlocuteurs qui veuillent comprendre leur vécu et pourquoi le suicide peut en effet représenter une option, même si celle-ci semble déraisonnable. L’important est que la personne suicidaire puisse se confier sans crainte à quelqu’un, raconter son histoire, parler d’elle-même.

Certains signes peuvent nous alerter sur le danger de suicide d’une personne. Par exemple :

– Des attitudes ou des actions inhabituelles. Le sujet rompt des liens avec son entourage, donne les choses auxquelles il est le plus attaché.

– L’enfoncement progressif et inexorable dans la dépression. Le sujet n’a plus goût à la vie, il a perdu toute motivation, il n’a plus d’espoir en l’avenir.

– Le changement brutal et inattendu dans les réactions sociales. Le sujet présente de brusques accès de colère ou provoque des disputes violentes alors que ces réactions étaient inconnues auparavant.

– Une attitude déraisonnée dans la conduite de sa vie, la prise de risques inconsidérés et illogiques.

– La mention de manière plus ou moins directe et franche de sa future absence, précisant souvent que les choses iront beaucoup mieux alors.

Le processus suicidaire se déroule sur quelques heures ou quelques jours, d’où la nécessité pour l’entourage d’être très vigilant. On y distingue trois étapes : tout d’abord celle des idées et des pensées suicidaires, puis celle de la crise où ces pensées deviennent omniprésentes (ruminations) et le patient élabore des scénarios de suicide, enfin le passage à l’acte.

L’enfant suicidaire

Plusieurs facteurs entrent en jeu en ce qui concerne l’enfant lui-même, sa famille, sa communauté.

– L’enfant présente des facteurs prédisposants : il est dépressif et, à cet âge, incapable de résoudre ses problèmes. Il a déjà une conception de la mort. Un échec personnel, une humiliation ou un traumatisme psychologique peuvent précipiter un acte impulsif irrémédiable.

– Le cercle familial joue aussi un rôle important. L’enfant suicidaire est sensible à la relation de violence et d’abus qui y règne, surtout s’il y a une absence de lien affectif. Le problème se complique si les parents se séparent ou divorcent. Un antécédent familial de décès par suicide peut être un facteur précipitant.

– Le rôle de la communauté n’est pas négligeable. La médiatisation du suicide peut être un facteur contribuant à inciter l’enfant à sauter le pas.

Un enfant qui présente un état dépressif, une préoccupation notable de la mort, une perte affective, une famille en difficulté, est susceptible d’attenter à sa vie.

Une intervention spécialisée (pédopsychiatre, psychologue) est nécessaire, sans oublier l’action du pasteur et de la communauté fraternelle de l’Église.

L’adolescent suicidaire

Ici aussi, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte : tentatives de suicide antérieures, dépression évoluant sur des problèmes psychiatriques, deuil qui se prolonge sont des facteurs prédisposants. Il en est de même s’il existe des antécédents de suicides familiaux, des problèmes psychiatriques ou de violence dans la famille.

La période de l’adolescence est marquée par le développement des caractères sexuels secondaires qui nécessitent un afflux d’hormones. Peuvent se produire à ce stade une difficulté d’orientation sexuelle, une faible capacité d’adaptation. L’adolescent peut devenir impulsif, voire agressif, surtout si les résultats scolaires sont mauvais et se perpétuent. L’humiliation d’un échec scolaire ou amoureux peut orienter l’adolescent vers des drogues comme l’alcool ou le cannabis.

Les signaux d’alarme se mettent en place. L’adolescent se désintéresse des activités qu’il aimait, se renferme, rompt les liens avec ses amis, présente des sautes d’humeur, fait des fugues. La communication avec sa famille est pratiquement nulle. Le chemin vers l’autodestruction débute et peut vite évoluer, d’autant que l’adolescent a une attitude négative face à la recherche d’aide. Un conflit avec la loi et une éventuelle incarcération complique dangereusement l’équilibre psychiatrique de l’adolescent qui peut passer à l’acte. D’autres signes précurseurs sont les mêmes que chez les adultes. Il faut agir vite car le seuil de saturation est atteint. L’impulsivité est grande. Le processus suicidaire peut être court et le passage à l’acte rapide.

Le respect du suicidé et le non-jugement

Ne pas accepter le principe du suicide ne signifie pas rejeter le suicidé, bien au contraire. L’enseignement biblique met en évidence le fait que Dieu hait le péché, mais qu’il aime le pécheur et veut le sauver. Son objectif est la repentance du pécheur et le rétablissement de la relation et de la communion avec son enfant (voir par exemple Ezéchiel 18.21-23). L’attitude de Jésus face à la femme adultère (Jean 8.3-11) en est une démonstration. Dieu aime inconditionnellement l’être humain et il le respecte, quels que soient ses choix. Nous bénéficions de ce regard divin et nous sommes invités à le reproduire dans nos relations (Matthieu 18.23- 33).

Toutefois, le suicide du chrétien pose question : Pourquoi une personne possédant une espérance porteuse de vie en arrive-t-elle à prendre la décision de se suicider ? La réponse est complexe, et ce n’est pas à nous de juger des mobiles et de la foi des personnes qui mettent fin à leurs jours.

À vrai dire, et le suicide de personnes croyantes le montre, la religion n’est pas un remède à tous les problèmes. La foi ne protège pas forcément de la dépression, un des troubles les plus fréquents chez les suicidaires. Lorsque certains parlent de ce qui se passe autour d’une crise suicidaire, ils témoignent généralement d’une grande souffrance psychique : « Ma douleur, mes pensées étaient tellement insupportables que je ne voyais plus d’autre solution. »

Le suicide peut à un certain moment surgir comme une option dans le vécu d’une personne ; il paraît être la seule issue satisfaisante permettant d’échapper à un quotidien devenu un enfer. Pour certains, c’est la souffrance physique qui est devenue intolérable. D’autres ne pourront accepter la perte de leur dignité humaine. D’autres encore vivent un état de crise psychique alimenté par des déceptions et des blessures répétées qui ne sont pas conciliables avec l’image que la personne a d’elle-même. Au moment de la crise, nombreux sont ceux qui croient ne plus rien valoir, être mauvais, ne plus avoir le droit d’être sur terre. Cette dépréciation de soi entraîne une souffrance psychique atroce.

Quoi qu’il en soit, le vécu de cette souffrance est personnel et ne peut être compris que de la personne elle-même. Il faut éviter de minimiser les raisons qui conduisent une personne à envisager le suicide. Ceux qui se sont livrés à des tentatives et qui en ont réchappé témoignent des multiples hésitations ressenties avant de passer à l’acte. Le poids des fardeaux, quels qu’ils soient, peut amener une personne à ne plus se sentir capable de vivre en dépit de toutes les raisons affectives, morales, psychiques ou spirituelles qui la motivent. La personne se trouve alors dans une rare solitude face à elle-même et à sa prise de décision, même si les circonstances portant au suicide sont parfois conditionnées par d’autres personnes ou des éléments extérieurs.

C’est pourquoi le chrétien est appelé à ne pas juger et à respecter la personne et ses décisions. Nul n’a le droit de déterminer si tel cas de suicide est juste ou faux, bon ou mauvais. Il ne s’agit pas d’un défaut de caractère, d’une faute morale.

Bibliquement, la justification de l’homme ne dépend pas de ses actions ou de son respect des commandements éthiques, mais uniquement de la foi qui est un don de Dieu. Chacun a droit à cette justification, même et surtout s’il n’est pas à la hauteur des exigences morales.

Une cérémonie religieuse à l’occasion d’un suicide ?

Notre mémoire culturelle judéo-chrétienne reste souvent attachée au refus d’inhumer les suicidés. Les rituels liés à l’inhumation reproduisent et influencent profondément la perception publique de la mort et du suicide. Il convient d’en souligner les enjeux théologiques souvent inconscients.

Dans une communauté, les rituels interviennent aux moments où il s’agit de définir symboliquement et d’assimiler la portée d’un événement important. Ces rituels sont des procédures ayant pour fonction de rappeler à la communauté quels sont ses fondements. Le refus d’une cérémonie religieuse signifie le scellement de la rupture des liens avec la communauté et avec Dieu dont le suicidé est responsable et coupable puisqu’il est sensé l’avoir accomplie volontairement. La portée et la gravité de ce rituel, ou plus exactement de ce non- rituel, sont extrêmement lourdes. Il s’agit de l’exclusion rituelle du suicidé de la communauté de l’Église, de la sphère humaine en général et du salut.

Des questions se posent alors : Quelle est notre conception de la cérémonie religieuse ? A-t-elle une valeur magique ? Est-ce à nous de décider si une personne qui vient de se suicider peut être sauvée ou pas et de prétendre pouvoir rompre par une décision autoritaire et unilatérale une alliance entre Dieu et un de ses enfants en grande souffrance ? Avant d’être un suicidé, la personne était un être humain qui n’a pas réussi à faire face à la charge qui pesait sur elle et qui, contrairement à une autre personne, n’a entrevu que le suicide comme solution. Que faire alors de ceux qui meurent d’une maladie grave pour n’avoir pas tenu compte des conseils de santé proposés par Dieu dans sa Parole ? Qui peut s’arroger le droit d’imposer ce qu’il estime être la pensée de Dieu, en sachant que le Dieu de la Bible est plus passionné de la grâce que l’être humain ?

Au contraire, la cérémonie religieuse d’adieu peut et doit être comprise dans un sens relationnel. Souvenir de la personne disparue d’abord, quelle que soit la manière dont elle nous a quittés. Pendant des années, des liens relationnels se sont tissés avec elle. Ils ont été vécus aussi au sein d’une communauté. Envers le disparu, le message central de la cérémonie est le suivant : le suicidé faisait partie de notre communauté et nous lui adressons nos adieux chaleureux en tant que tel. L’alliance n’est pas rompue. S’il n’est plus vivant, il restera toujours présent dans notre souvenir. Il garde toute sa dignité d’être créé à l’image de Dieu et c’est aussi cela dont nous voulons témoigner par une cérémonie.

Mais il s’agit encore davantage d’amplifier la relation avec la famille et avec les proches. La cérémonie d’adieu met l’accent sur le deuil des proches et donc sur toute une série de sentiments que les rituels de condamnation du suicide cherchaient justement à étouffer. Elle pousse les proches à ne pas rester seuls avec l’événement tragique et avec leur deuil, mais à chercher le contact avec les autres, qu’ils soient proches ou lointains Elle permet aux personnes extérieures de se rapprocher de la famille. Ceci est d’autant plus vrai pour les chrétiens qui sont invités à porter les fardeaux les uns des autres (Galates 6.2).

Jésus est venu pour partager nos fardeaux et soulager ceux qui souffrent (Matthieu 8.17 ; 11.28,29 ; Luc 11.46 ; Romains 15.1). Et Paul, citant Jésus, rappelle avec force que la loi est accomplie dans une seule parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même (Galates 5.14). Le texte biblique invite à aller au-delà des préjugés et des réticences personnelles, même spirituelles. Il s’agit d’accepter résolument de rompre le joug pesant sur la famille du suicidé en offrant le réconfort d’un message spirituel orienté vers l’espérance d’un revoir (Esaïe 58.6).

Une cérémonie à l’église n’est pas une récompense pour bonne conduite ni l’expression d’une approbation de la personne et de ses actes. Elle est l’occasion de dire socialement au revoir à celui qui a quitté les siens et de témoigner son soutien aux proches, en prenant en compte et en respectant leur douleur. Elle est aussi une possibilité de partager avec la famille et avec toutes les personnes présentes le message évangélique d’espérance, et de mettre en oeuvre l’attitude fraternelle attendue de chaque participant de l’alliance divine.

L’Église adventiste n’a jamais soutenu officiellement l’attitude qui consiste à refuser une cérémonie d’adieu lorsqu’une personne s’est suicidée.

Pour les proches

La mort brutale et inattendue d’un proche, notamment par suicide, est très traumatisante. La soudaineté du décès est un stress intense de tout l’organisme qui provoque un état de choc, avec différentes manifestations somatiques et psychiques. En général, les proches s’en veulent beaucoup de ne pas avoir remarqué l’état dans lequel se trouvait la personne juste avant de se précipiter dans la mort. Ils souffrent de ne pas avoir pu reconnaître les signes avant-coureurs. Leurs sentiments sont multiples et complexes : stupeur, déception, colère, tristesse et surtout intense culpabilité. Le recours à une aide extérieure dans un processus de cure d’âmes, auprès d’un conseiller spirituel ou par un travail de deuil avec un psychothérapeute, ne sera pas à négliger.

C’est à ce moment-là que la fraternité chrétienne, à titre individuel et en tant que communauté, doit remplir pleinement son rôle. Dans ces moments de deuil particulièrement lourds, la famille a besoin d’une présence attentive, persévérante, compréhensive, recadrante et non-jugeante.

Attentive, car le suicide a un impact important sur la vie des personnes touchées, tant au niveau personnel que relationnel et social. Elles développent le plus souvent des vécus et des émotions particulièrement intenses : chagrin, colère, détresse émotionnelle, peurs, honte, sautes d’humeur, estime de soi fortement ébranlée. Bien souvent, elles n’osent pas exprimer tous ces sentiments. Ce n’est que dans la mesure où elles trouvent en face d’elles des personnes attentives à leur peine qu’elles pourront en parler. Jésus était particulièrement sensible à la souffrance. Il remarquait l’aveugle, le paralytique, l’homme à la main sèche…

Persévérante, car cet accompagnement sera de longue durée. Dans un premier temps, le fait d’être présent est essentiel. Une aide pour régler les aspects pratiques des funérailles, par exemple, sera la bienvenue. Mais les proches ne ressentent vraiment l’absence qu’après les obsèques. C’est alors qu’ils commencent à se torturer l’esprit et à ruminer des idées noires. Une visite après une semaine (si possible à l’heure du décès), puis un mois après sera importante. À d’autres moments, qui correspondent à des dates significatives, une marque de sympathie sera très appréciée : l’anniversaire des proches eux-mêmes (l’absence de la personne se fait douloureusement sentir à ce moment), les jours de fête ou d’anniversaire de mariage, etc.

Compréhensive, car dans leur travail de deuil, ces personnes passeront par des hauts et des bas. Ce processus d’adaptation à la perte subie sera d’autant plus douloureux et difficile que la mort a été inattendue et qu’elle est ressentie comme culpabilisante.

Il s’agira surtout de respecter les réactions des personnes sous le choc, sans minimiser ou dédramatiser l’événement. Il faudra aider les personnes endeuillées à supporter le désespoir et la détresse morale. Les survivants ont besoin d’extérioriser leur vécu, leurs souffrances, leurs doutes et leurs sentiments de culpabilité. Il est important de pouvoir écouter sans parler et de supporter même de longues minutes de silence. Parfois, la personne laissera libre cours aux questions obsédantes qui l’habitent : la raison du suicide, la responsabilité, les sentiments de culpabilité, la douleur pétrifiante, la rage, la honte, l’impuissance, l’affliction, la peur, le doute, la révolte… et le « comment continuer ? ».

Il faut donc leur offrir un lieu où verbaliser leurs sentiments de culpabilité, de doute et d’échec, ce qui les aidera à surmonter l’événement et à prendre un nouveau départ. Les survivants ne doivent pas se détacher de l’événement dramatique. Celui-ci peut et doit rester simplement ce qu’il était : une part de leur propre vie. Il arrive toutefois que les personnes concernées préfèrent se taire. Cette attitude est à respecter, même si elle va à l’encontre de leur besoin. Peut-être viendra-t-il un moment où elles auront envie de parler.

Recadrante, car l’appréciation que les personnes se font du suicide est très subjective. Généralement, dans les cas de suicide, les sentiments de culpabilité sont nombreux, et pas nécessairement justifiés.

Il est des situations où les proches ressentent le déshonneur par le fait même du suicide, alors que le suicidé s’est donné la mort avec des intentions positives envers son entourage. Si l’accompagnant peut aider à considérer le suicide sous un autre angle, les personnes seront soulagées d’un grand fardeau, et cela permettra de réduire le temps nécessaire au travail de deuil.

Non jugeante car on assiste souvent à des changements d’habitudes, à un repli sur soi pour éviter le jugement supposé ou réel des autres. La mort par suicide n’étant pas a priori une mort socialement acceptable, elle influe sur les relations des proches à plusieurs niveaux. Au sein de la famille, les silences, les rythmes et les vécus de deuil différents peuvent rendre difficile le partage, la communication et l’entraide.

S’il veut aider et accompagner ces personnes et ces familles, le croyant doit se débarrasser des idées toutes faites : ce serait un comble pour lui de penser ou de déclarer que le suicide est un rejet de Dieu !

Face à des situations telles que le suicide, la seule éthique acceptable est basée sur le respect des personnes et des situations, et sur la primauté de l’alliance. L’essentiel est de maintenir, de rétablir ou de développer les relations avec les personnes souffrantes. Au lendemain du geste suicidaire, la capacité de l’entourage à se reconstruire dépendra à la fois des liens maintenus ou renoués, et de nouvelles raisons de vivre.

Le croyant est donc appelé idéalement à un rôle de soutien et d’accompagnement, en offrant une qualité d’écoute durable et en témoignant un amour compatissant. Le Père céleste maintient sa proposition d’alliance quelle que soit la situation du pécheur. Toutefois, l’empathie ne suffit pas toujours et on ne peut attendre de chacun qu’il soit qualifié ou formé pour apporter ce soutien. C’est pourquoi il est bon que l’Église ait une liste de personnes habilitées à accompagner efficacement, et qu’elle encourage des volontaires à se former.

Conclusion

L’Évangile est avant tout un message de libération, de vie et d’espoir. Il invite aussi à être attentif à l’autre, tout en le respectant en tant que personne libre et responsable.

L’Église doit avoir le courage de réfléchir au soin qu’elle prend de ses membres, et plus précisément des personnes fragiles, en mal de vivre. Est-elle suffisamment consciente de la valeur d’une vie, de son caractère unique et donc de la responsabilité qui est la sienne de contribuer au maintien et à la qualité de toute existence humaine ?

Le message biblique appelle chacun à la plus grande prudence et à une extrême réserve dans le jugement qui est trop souvent porté sur les suicidés et leur famille.

Le croyant et l’Église devraient offrir un cadre exempt de jugement à ceux qui envisagent d’attenter à leur vie, pour qu’ils puissent en parler et se soulager de cette souffrance qui les écrase au point de leur faire commettre un acte irréversible. Il est nécessaire de respecter et de prendre plus sérieusement en compte ce mal-être et ce mal-vivre que la foi n’a pas forcément réussi à combler.

Ce n’est pas parce que l’être humain a la foi en Dieu que tout devient simple et que la vie apparaît alors comme un long fleuve tranquille. Dans les Églises se trouvent des hommes et des femmes, des jeunes et des moins jeunes qui n’arrivent pas à faire face aux soucis et aux défis de la vie. Le devoir de l’Église est d’être à leurs côtés.

Commission d’éthique de l’Union franco-belge. Avril 2010 


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