La démographie eJt l’avenir de l’Église

Méditations spirituelles 12/09/2021

Claude Richli | Ministry 2e trimestre 2021

Je me trouvais récemment au 50e étage d’un hôtel du centre-ville de Bangkok et je contemplais avec étonnement l’étendue de bâtiments en dessous de moi. J’avais visité Bangkok pour la première fois dans les années 90 et, bien qu’elle ne fût en aucun cas une petite ville, j’en garde le souvenir d’une métropole nettement moins dense, avec moins de gratte-ciels et d’autoroutes se croisant dans tous les sens. D’ailleurs, je fais des observations semblables dans la plupart des villes que je visite.

Le fait est que la croissance explosive de la population est la réalité qui caractérise notre génération. Elle a influencé l’augmentation des voyages, des divertissements, des entreprises, de la pollution, des technologies, de la richesse et de la pauvreté dans le monde entier. Selon une prévision de l’Organisation des Nations Unies, cette croissance va continuer pendant quelques décennies encore, pour finalement, atteindre 11,2 milliards vers la fin du siècle.

Pour les disciples du Christ, atteindre ces masses grandissantes présente un défi constant alors que nous cherchons à remplir le mandat de l’Évangile. Car, même si nous disons que le rapport entre le nombre d’adventistes du septième jour et la population générale continue de diminuer d’année en année, la réalité est que, chaque année, des millions naissent et meurent sans avoir la chance d’entendre parler de leur Sauveur.

Une planète vide

Étant donné ce paradigme de croissance ininterrompue, quelle ne fût pas ma surprise lorsque je vis le livre : « Planète vide : le choc du déclin de la population mondiale 1. »

Les auteurs, Darrell Bricker et John Ibbitson soutiennent qu’au lieu d’avoir encore environ 80 ans de croissance ininterrompue devant nous, nous sommes rapidement en train d’entamer une phase où les populations vont se stabiliser puis diminuer et, dans certaines régions du monde, imploser. Si cela se produit, les implications seront importantes, non seulement pour le monde dans lequel nous vivons, mais aussi pour l’Église et sa mission. Mais comment cela se produirait-il ?

Les lois de la démographie sont actuellement bien comprises ; les statistiques démographiques peuvent être prévues à long terme avec un haut degré de précision. Après tout, nous savons combien nous sommes d’êtres humains sur terre en ce moment, quelle est l’espérance de vie dans chaque pays et, de plus en plus, nous comprenons quels facteurs incitent les gens à avoir ou non des enfants. Nous savons également que chaque pays suit un schéma similaire qui peut être défini en cinq étapes semblables à des vagues déferlant sur le monde en ce qu’on appelle des transitions démographiques. Au fil du temps, toutes les sociétés passent de « taux élevés de natalité et de mortalité » à des « taux faibles de natalité et de mortalité ». Certaines sociétés prennent 200 ans pour effectuer cette transition, alors que d’autres le font en quelques décennies seulement. L’explosion de population que nous avons pu observer au cours des 100 dernières années est due aux progrès dans les domaines de l’hygiène et de la santé, qui a réduit le taux de mortalité plus rapidement que le taux de natalité. Cela s’est traduit par une augmentation de la durée de vie et une diminution de la mortalité infantile. Davantage d’enfants ont survécu qui, à leur tour, ont eu davantage d’enfants qui ont survécu et grandi, et ainsi de suite. Mais à un certain point, avec l’augmentation du niveau de vie et quelques autres facteurs qui entrent en jeu, de plus en plus de pays voient cette dynamique s’inverser au point où nous avons maintenant une population vieillissante produisant moins d’enfants qui, à leur tour, produisent moins d’enfants, jusqu’à ce que la population décline dans son ensemble. Cette dynamique est déjà à l’œuvre en Europe, et de plus en plus de pays d’Asie sont également pris dans ce cercle vicieux. Pour qu’une société persiste, un taux de fertilité de 2,1 (appelé taux de remplacement) doit être maintenu, ce qui signifie qu’en moyenne, chaque femme doit donner naissance à 2,1 enfants, tout en prenant en considération que certains enfants meurent prématurément et que certaines femmes ne peuvent pas avoir d’enfants. Cependant, dans plu- sieurs pays, ce taux de remplacement a dégringolé au cours des dix dernières années.

Une Europe grisonnante

Les démographes et planificateurs sociaux tirent le signal d’alarme pour l’avenir de l’Europe. Le Royaume-Uni a un taux de fertilité de 1,8, et de nombreux pays sont en dessous de cette moyenne, tels que la Grèce (1,3), l’Italie (1,4), la Roumanie (1,3) et la Slovaquie (1,4). L’Allemagne devrait perdre 19% de sa population d’ici à 2050 2, tandis que la population Russe devrait chuter de 143 millions à 107 millions. La Bulgarie a déjà perdu 2 millions de ses habitants depuis 1989 (une réduction de 23%).

En tant que dirigeants de l’Église, nous pouvons déjà imaginer l’impact que cela produit dans nos rangs. Il est bien plus difficile de faire grandir l’Église dans une société en déclin. Les personnes plus âgées sont davantage établies dans leurs habitudes, plus conservatrices, et il est donc plus difficile de les amener à Jésus. Nos églises vieillissantes ont également moins d’enfants et sont par conséquent moins attrayantes, moins dynamiques, et moins susceptibles de réussir à gagner des âmes pour le Christ. Mais dans la recherche menée par Bricker et Ibbitson, deux histoires offrent une lueur d’espoir et méritent d’être lues.

Une Asie chancelante

la première histoire concerne le déclin de la population en Asie. La population japonaise a déjà commencé à diminuer. Elle est actuellement la plus âgée du globe. Plus d’un quart de tous les Japonais vivants aujourd’hui sont dans la catégorie des séniors. Malheureusement, ce phénomène est déjà en train d’affecter l’Église au point où l’administration locale, en partenariat avec le secrétariat de la Conférence générale, s’est lancée dans un programme d’implantation d’Églises soigneusement planifié et ambitieux, appelé Tokyo : Mission inhabituelle. Son objectif est de démarrer 300 petits groupes et d’implanter 30 Églises de maison ainsi que 2 centres d’influence au centre-ville de Tokyo avec l’aide d’équipes missionnaires placées par la Conférence générale et qui travailleront en coopération avec l’administration locale pour créer des disciples.

Ce n’est pas un effort d’évangélisation à court terme, mais une entreprise de longue durée s’étendant sur une dizaine d’années. Au bout de 10 ans, la Corée devrait remplacer le Japon et devenir la société la plus âgée du monde. Ceci aura également un grand impact sur nos 700 églises dans ce pays ainsi que leur capacité à évangéliser et à grandir. Mais un pays qui sera intéressant à surveiller est la Chine.

Jusqu’en 2013, la Chine a appliqué une loi ne permettant qu’un enfant par famille pour ralentir la croissance de sa population de plus d’un milliard. Ce- pendant, réalisant son impact négatif sur l’avenir, le gouvernement a résilié cette loi en 2015 avec l’espoir de voir une hausse du nombre de naissances. Au lieu de cela, le chiffre continua de baisser. Pourquoi ? Les raisons sont multiples, mais trois d’entre elles jouent un rôle important en Chine ainsi que dans le reste du monde, et elles rendent un retournement de situation quasiment impossible.

La première raison est l’urbanisation. Bien que les enfants présentent un atout à la campagne (plus de main d’œuvre pour aider aux tâches), ils deviennent une plus grande responsabilité lorsque les parents déménagent en ville, où les enfants doivent être éduqués à des coûts élevés. Le monde s’urbanise rapide- ment, et ceci n’est pas près de changer. La deuxième raison est que les femmes deviennent mieux éduquées. Plus les femmes sont éduquées, plus elles ont de contrôle sur leur vie, leur corps et leurs choix de reproduction. Encore une fois, ceci ne va pas changer. La troisième raison est le déclin des influences familiales et religieuses, qui furent des facteurs puissants pour encourager les familles nombreuses. Cependant, avec la sécularisation ainsi qu’une plus grande mobilité et indépendance économiques, ces deux influences ont diminué et, par conséquent, le désir d’avoir de grandes familles a également baissé.

Ainsi, même si le gouvernement peut essayer de mettre en place des lois qui aident les familles, elles ne produisent pas de changement durable dans la tendance générale et ne provoqueront pas de progrès drastique dans le taux de fécondité. Certaines villes comme Shanghai et Pékin ont un taux de fécondité de 1,0 ou moins, et ceci est maintenant ancré dans la société et ses structures : des petits appartements, un coût de vie élevé, des familles à deux revenus et l’amour des envies personnelles rendent quasi- ment impossible pour les Chinois de renverser cette tendance. Par conséquent, selon Bricker et Ibbitson 3, « l’empire du Milieu aura une population légèrement supérieure à 560 millions à la fin du siècle. »

La Chine a eu un impact phénoménal sur le monde à cause de sa croissance ahurissante qui poussa à certains à dire que « le nombre de chrétiens en Chine communiste augmente de manière si constante que d’ici à 2030, la Chine aura plus de chrétiens pratiquants que l’Amérique 4. » Fenggang Yang, professeur de sociologie à l’université Purdue et auteur du livre Religion en Chine : Survie et réveil sous le régime communiste, déclare : « Selon mes calculs, la Chine est destinée à devenir bientôt le plus grand pays chrétien du monde. » 5 il est peut-être trop tôt pour prédire comment la Chine et le reste du monde seront affectés lorsque la population Chinoise va décliner, mais si ces calculs s’avèrent être justes en dépit du déclin de la population, cela pourrait dire que dans quelques dizaines d’années, la Chine pourrait être majoritairement chrétienne – un triomphe extraordinaire de l’Évangile !

Une Afrique enflammée

la deuxième histoire est que la population africaine continuera d’augmenter jusqu’à la fin du siècle. Sa population pourrait passer d’1,3 milliards aujourd’hui à 2,5 milliards en 2050 et à 4,3 milliards d’ici à la fin du siècle ! Cela signifie que la chrétienté sera noire, et que l’Église adventiste du septième jour sera largement africaine, ce qui n’est pas surprenant lorsque l’on considère qu’en 2015 déjà, plus d’un baptême sur deux dans l’Église adventiste mondiale avait lieu en Afrique. Si l’on se fie aux tendances actuelles, un membre adventiste sur deux vivra en Afrique dès 2033 6. Par conséquent, les membres Africains rempliront de plus grandes responsabilités dans l’Église mondiale, en fournissant à la fois un plus grand soutien financier et des dirigeants de classe mondiale très bien formés. Puisqu’on observe un lien important entre la croissance de la population et la croissance de l’Église, nous pouvons nous attendre à voir l’Église grandir encore longtemps en Afrique, alors que d’autres parties du monde régresseront, y compris l’Amérique du Nord.

Une Amérique du Nord diversifiée

Avec un taux de reproduction de 1,9, les États-Unis sont en dessous du taux de remplacement, mais le pays compense par l’immigration. L’immigration a toujours été un élément moteur de croissance par le passé, contribuant à la fois à la croissance économique et à la croissance de l’Église. Sans ce facteur, le nombre de membres se serait déjà stabilisé il y a une vingtaine d’années. On se demande donc : combien de temps l’immigration demeurera-t-elle un facteur de croissance en général, et en particulier pour la croissance de l’Église aux États-Unis ? Depuis la crise économique de 2008, « les personnes qui sont retournées au Mexique ou en Amérique latine ont été plus nombreuses que celles qui sont venues aux États-Unis. Les chercheurs qui étudient ce phénomène citent une économie Américaine faible, une plus grande disponibilité d’emplois au Mexique, et le déclin du taux de fécondité des populations d’Amérique latine 7. » les lois émises par l’administration américaine obscurcissent davantage les perspectives d’immigration aux États-Unis, qu’elles soient légales ou non. C’est vraisemblablement un problème à court-terme, car la force de l’Amérique repose en grande partie sur la force de sa population. Bricker et Ibbitson écrivent : « Même avec les niveaux actuels, elle est supposée passer de 345 millions aujourd’hui à 389 millions d’ici à 2050, et à 450 millions en 2100, soit environ 100 millions de plus qu’aujourd’hui, ce qui la rapproche d’une Chine bien diminuée. Démo- graphiquement parlant, malgré les autres facteurs qui pourraient être ajoutés aux calculs géopolitiques, l’avantage américain est décisif. » 8

Même si, aux États-Unis, l’Église a encore des occasions d’atteindre les immigrants de première génération, du point de vue chrétien, il reste à voir combien se diront être attachés à une dénomination. Mais, en supposant que l’immigration vers les États-Unis (et le Canada) peut continuer sans entrave à l’avenir, l’Église en Amérique du nord continuera de grandir, reflétant la diversité de sa population et concentrant son approche sur les questions interculturelles.

En adoptant la devise « J’irai », l’Église enverra peut-être moins de missionnaires à l’étranger. Par contre, on verra peut-être une plus grande volonté de franchir les barrières culturelles, que ce soit dans le quartier, ou même de l’autre côté de la rue.


1. Darrell Jay Bricker and John Ibbitson, Empty Planet: The Shock of Global Population Decline. New York, NY: Crown Publishers, 2019.

2. “Europe Population 2020,” in World Population Review, consulté le 3 août 2020, worldpopulationreview.com/continents/europe-population/.

3. Bricker and Ibbitson, Empty Planet, p. 163.

4. Tom Phillips, “China on Course to Become ‘World’s Most Christian Nation’ Within 15 Years,” in The Telegraph (April 19, 2014), telegraph.co.uk/news/ worldnews/asia/china/10776023/China-on-course-to -become-worlds- most-Christian-nation-within-15-years.html.

5. Phillips.

6. Voir ASTR: Office of Archives, Statistics, and Research, adventistar-chives.org/.

7. Bricker and Ibbitson, Empty Planet, p. 149. 8. Bricker and Ibbitson, Empty Planet, p. 189.