La parabole de l’homme riche et de Lazare et certains récits de révélations de la vie après la mort

Méditations spirituelles 25/10/2021

Par Kim Papaioannou | Revue Ministry, 1er trimestre 2017 pp. 20-24

La parabole de l’homme riche et de Lazare 2 (désormais je dirai seule- ment « la parabole ») a longtemps laissé perplexes les étudiants de la Bible. Pour un « conditionnaliste » comme moi, qui croit que la mort est un état d’inconscience et l’enfer un lieu de destruction, elle représente un double défi : (a) elle dépeint une existence continue et consciente après la mort ; et (b) le feu tourmente plutôt que détruit.

Souvent citée pour appuyer l’immortalité de l’âme, la parabole ne défend pas cette doctrine. Cette histoire ne dépeint pas des âmes immortelles flottant dans le ciel ou l’enfer, mais des personnes réelles avec de pleines capacités physiques pour voir, entendre, parler, et sentir la chaleur et le froid. En effet, l’existence des deux protagonistes semble être une continuation complètement inversée de leur vie avant la mort ; seul le lieu a changé.

La parabole est unique, sans relation directe ou même éloignée avec d’autres histoires de la Bible. Darrell Bock l’a appelée la « plus complexe »3 des histoires de Jésus. C’est pourquoi les chercheurs de différentes perspectives recommandent de ne pas la considérer comme une feuille de route de l’au-delà.4

Défense antérieure

Quoi qu’il en soit, la parabole est très difficile à intégrer dans une perspective conditionnaliste. La principale défense conditionnaliste a été d’utiliser l’approche des paraboles proposée par Adolf Jülicher, à savoir que celles-ci sont des histoires servant d’exemples, avec un élément principal, et des détails qui servent unique- ment d’accessoires.5 Dans cette parabole, le message essentiel est peut-être qu’il n’y a aucune possibilité de repentance après la mort.

Cette ligne de défense n’est pas sans fondement, mais soulève des questions difficiles. Pourquoi Jésus raconterait-il une parabole avec tant de détails si les détails n’avaient pas d’importance ? Et pourquoi utiliser des détails théologiquement inadaptés ? Le même message-clé aurait pu être communiqué avec un meilleur langage, théologiquement plus acceptable. Apparemment, quelque chose de plus pro- fond est en jeu, et la tentative de nier l’importance des détails ne parvient pas à satisfaire.

Dans cette courte étude, je soutiens que Jésus montre sa familiarité avec un genre d’histoires répandu dans tout le monde méditerranéen antique et déconstruit cette histoire à la fois pour discréditer ce genre de récits et pour renforcer la perspective biblique.

Récits non ­bibliques

Les commentateurs reconnaissent qu’aucun parallèle direct avec cette parabole n’existe dans la Bible. Ils reconnaissent également que des récits similaires étaient répandus partout dans les cultures méditerranéennes. On peut discerner deux types de récits : ceux qui mentionnent un revirement de situation dans l’au-delà, et qui présentent des parallèles directs avec la parabole ; et ceux des révélations sur l’au-delà, qui offrent un contexte large, général, sur les visions de la vie après la mort.

Des histoires de revirement de situa­tion : La recherche d’un contexte im­médiat.

On peut mentionner un certain nombre de récits de revers de fortune. Le plus connu est un récit égyptien (Ier siècle av. J-C.).6 Un magicien égyptien, Si-osiris, revient d’Amente, la terre des morts, et se réincarne dans la famille pauvre de Setme. Un jour, le père et le fils croisent deux enterrements – l’un, d’un homme riche, qui reçoit des honneurs remarquables ; l’autre, d’un pauvre homme, qui est jeté dans une fosse commune. En voyant cela, Setme souhaite une fin similaire à celle de l’homme riche. Le jeune Si-osiris, cependant, voit les choses autrement. Il emmène donc son père visiter Amente, où ils voient l’homme riche vivement tourmenté, tandis que le pauvre homme se tient, justifié, aux côtés d’Osiris, le juge de l’humanité.

Un récit juif similaire est l’histoire de Bar Maya (Ier ou IIe siècle de notre ère)7. Bar Maya, un collecteur d’impôts pécheur et riche, meurt et bénéficie d’un magnifique enterrement. Un pauvre docteur de la Torah meurt aussi, inaperçu, et reçoit une plus humble sépulture. Cela conduit un spectateur à remettre en question la justice de Dieu. En réponse, Dieu révèle que le sort des deux individus est inversé après la mort. Bar Maya avait fait une seule bonne action dans sa vie et il reçoit pour seule récompense, de magnifiques obsèques. Le pauvre docteur de la loi avait commis une seule mauvaise action, qu’il a expiée par son humble enterrement. Le collecteur d’impôts peut maintenant faire face aux tourments de l’enfer qui ne lui laissent pas de répit, alors que le pauvre docteur de la loi jouit des joies du ciel sans entrave.

Ronald Hock signale une histoire similaire racontée par Lucien (120–180 de notre ère) dans un contexte hellénistique.8 Trois hommes meurent et sont emmenés aux enfers – le riche tyran Mégapenthès, le pauvre cordonnier Micyllus, et un philosophe. Lors du jugement, le philosophe et Micyllus sont reconnus sans faille et sont envoyés aux îles bénies, tandis que Mégapenthès, reconnu coupable, est puni en conséquence.

Que montrent ces récits ?

Ils dévoilent que le thème d’un renversement de situation dans l’au-delà, était commun parmi les différentes cultures du monde méditerranéen.9

Récits de révélations sur l’au-delà : établir un contexte plus large.

Bien que les histoires de revirement dans l’au-delà forment le contexte le plus direct de notre parabole, il existe un contexte plus large qui doit être bien compris : il s’agit d’histoires de révélations sur l’au-delà, dans lesquelles il est question d’un retour d’entre les morts, puisque la parabole évoque un tel retour (tout en le rejetant). De telles histoires abondent. Je vais ici en examiner quelques-unes.

Platon (428-348 avant notre ère) ra- conte l’histoire d’un soldat, Er le Pamphylien,10 qui est tué dans une bataille, mais revient à la vie quelques jours plus tard. Dans sa « mort », Er visite les enfers et voit un jugement dans lequel les bons vont au ciel et les méchants sont punis. On lui dit expressément de s’en retourner et de rapporter ce qu’il a vu, vraisemblablement pour avertir les vivants.

Plutarque (46-120 avant notre ère) re- late une histoire semblable à propos de Thespesius, et Cléarque de Soli, à propos de Cléonyme.11 Ce dernier récit prend une tournure intéressante. Alors qu’il se trouve aux enfers, Cléonyme rencontre un autre visiteur de passage. Ils conviennent qu’une fois de retour sur la terre des vivants, ils resteront en contact l’un avec l’autre.

Lucien raconte une autre histoire de « retour ». Un homme appelé Cléomène tombe malade. Mais son temps n’est pas encore venu. À cause d’une erreur d’identité, il est emmené aux enfers, où on l’informe que c’est son voisin Demylus qui aurait dû être emporté à sa place. Cléo- mène est donc renvoyé et, en l’espace de quelques jours, Demylus meurt.

Ces récits, bien qu’ils proviennent d’un milieu païen, ont rapidement trouvé leur chemin dans la tradition juive et chrétienne. Le Talmud de Babylone (du IIe au Ve siècle de notre ère)12 raconte une histoire apocryphe de Samuel le prophète, à qui certains orphelins confient une importante somme d’argent qu’il dépose auprès de son père, Abba. Abba cache l’argent, mais meurt avant d’informer Samuel de l’endroit où il l’a mis. Désespéré de ne pouvoir récupérer l’argent qui lui avait été confié, Samuel visite Abba au pays des morts, découvre le lieu où l’argent est caché, le restitue aux orphelins, et tout finit bien.

Un exemple chrétien est l’histoire de Jannès et Jambrès (IIe au Ve siècle de notre ère), deux frères magiciens qui, selon la tradition, se sont opposés à Moïse à la cour du Pharaon.13 Jannès meurt. Jambrès appelle l’esprit de Jannès de l’enfer par la nécromancie. Jannès informe Jambrès de ses souffrances et de la justice de son sort, et recommande vivement à Jambrès de se repentir, mais nous ne connaissons pas le dénouement de l’histoire.14

Nous voyons donc que les histoires de revirement de situation à la mort (comme dans la parabole) abondaient dans le monde antique, tout comme les révélations de l’au-delà, que notre parabole implique également. Nous avons un contexte très clair, que le public de Jésus comprenait et dans lequel la parabole peut être comprise.

Trois éléments communs

Trois éléments communs relient tous les récits non bibliques relatifs à notre sujet, pour former un genre cohérent. Tout d’abord, les révélations des morts ont toujours pour objet d’apporter une certaine amélioration aux vivants, y compris de les amener à la repentance. Contrairement à la Bible, qui déclare que les morts « ne savent rien » (Ec 9.5), de telles histoires présupposent que les morts en savent plus que les vivants et peuvent donc en faire profiter les vivants.

Deuxièmement, un message provenant des morts peut parvenir de différentes façons, comme une visite aux morts sous forme corporelle (Samuel, par exemple) ou en tant qu’esprit désincarné (Er ou Cléomène). Dans d’autres cas, les morts peuvent rendre visite aux vivants, en tant qu’esprits ou à travers des visions (Jannès), de leur propre initiative ou en étant appelés par l’intermédiaire de la nécromancie (Jannès). La résurrection corporelle n’est jamais présente, parce que dans les cultures païennes, où ces histoires se sont développées à l’origine, il n’y avait pas de résurrection corporelle (Actes 17. 32).

Troisièmement, les révélations des morts comprennent toujours un témoin oculaire, habituellement bien connu et mentionné par son nom. La présence de témoins connus servait à donner de la crédibilité à ces récits qui, autrement, pa- raîtraient incroyables. Curieusement, la parabole de l’homme riche et de Lazare est la seule parabole de Jésus avec des personnages ayant un nom.15

Dans un tel contexte, nous pouvons maintenant tourner notre attention vers la parabole.

La première partie de la parabole : déconstruire pour discréditer

La parabole comprend deux parties : (a) la demande de soulagement de l’homme riche et (b) sa deuxième requête pour que Lazare soit envoyé à ses cinq frères encore vivants. Bauckham suggère que, souvent, c’est précisément là où une histoire s’écarte de ce qui est attendu que se trouve le point important.16 Nous allons maintenant voir comment la première et la deuxième partie de la parabole s’écartent, de manière très importante, des récits de prétendues révélations de l’au-delà, et évaluer l’importance de ces divergences.

La première partie de la parabole commence comme un conte typique de revirement de situation : un homme riche et un pauvre meurent, et au moment de leur mort, leurs situations sont inversées. Malgré ce début conventionnel, un certain nombre de particularités commencent immédiatement à troubler le lecteur.

Tout d’abord, Lazare, de son vivant, avait essayé de se «nourrir» des miettes qui tombaient de la table du riche (Luc 16. 21).17 Le verbe grec chortazo ne signifie pas « être nourri », mais « être rempli », « rassasié » 18 ou complètement plein. Quelqu’un peut-il vraiment être rempli et rassasié de miettes tombant d’une table ?

Deuxièmement, lorsque Lazare meurt, il est porté dans le « sein d’Abraham » (Luc 16. 22). Qu’est-ce que le sein d’Abraham ? Cette expression n’apparaît qu’ici. La plupart supposent que c’est un synonyme du ciel.19 Cependant, dans la parabole, cela apparaît comme une description litérale : l’homme riche lève les yeux et voit « de loin Abraham, et Lazare dans son sein » (Luc 16. 23). Est-ce que les justes qui meurent se retrouvent assis dans le sein d’Abraham ? Combien peuvent y être à la fois ?

Troisièmement, lorsque l’homme riche vit Abraham au loin, il « s’écria » (NBS, Luc 16. 24). Le mot grec est phonizo. Il signifie, « appeler » 20 et n’a pas de connotation dramatique. Une personne subissant un grave supplice, comme l’homme riche, aurait « hurlé », « crié » (en grec krazo), ou au moins appelé « d’une voix très forte et très souffrante ». Mais ce n’est pas ce que l’homme riche fait. Il lève la voix, juste as- sez pour qu’on l’entende, mais peut-être pas assez fort pour déranger : « Père Abra- ham… ohé… »

Quatrièmement, l’homme riche en enfer éprouve de la souffrance (LSG) ou de l’an- goisse (NBS) (Luc 16. 24). Le mot grec odunomai et le mot apparenté odune sont utilisés quatre autres fois dans le Nouveau Testament 21 et se réfèrent à la souffrance émotionnelle, la douleur, et l’affliction.22 Ainsi, l’homme riche est réellement dans les flammes, mais ressent une angoisse émotionnelle, qu’il tente d’étouffer avec de l’eau au sens propre !

Cinquièmement, pour apaiser ses souffrances, l’homme riche demande à ce que Lazare trempe « le bout de son doigt » (Luc 16. 24) dans l’eau et la lui apporte. Il aurait pu demander un seau d’eau ou, au moins, que Lazare puise un peu d’eau ou y trempe son vêtement. Combien d’eau peut-on transporter avec le bout d’un doigt ? Et cette eau serait-elle restée fraîche sur le doigt alors qu’elle est transportée à travers le feu du tourment ? Joseph Fitzmyer y voit une hyperbole pour mettre en évidence la gravité du supplice.23

Sixièmement, l’homme riche s’attend à ce qu’une infime quantité d’eau « rafraîchisse » sa langue (Luc 16. 24). Le terme grec est katapsucho, un mot composé du verbe psucho, « rendre froid », et du préfixe kata, qui a pour fonction de rendre une chose plus démesurée.25 Pour illustrer, dans la langue grecque moderne, katapsucho se réfère au compartiment du réfrigérateur qui congèle la nourriture. L’homme riche prévoit donc que la quantité infime d’eau, portée sur le bout du doigt de Lazare à travers le feu du tourment, gèle sa langue et apaise son angoisse émotionnelle !

Pourquoi est-ce que Jésus utilise ces descriptions étranges? Et si détaillées? Elles ne sont certainement pas là simplement pour orner le récit. Elles ne sont pas là par hasard.

Je voudrais suggérer que de telles descriptions sont teintées de sarcasme et visent à discréditer le genre littéraire qu’elles imitent, la foule d’histoires de prétendues révélations de la vie après la mort. L’ironie est souvent le meilleur outil pour déconstruire un système de pensée et elle est utilisée ailleurs dans la Bible. 26

La deuxième partie de la parabole : déconstruire pour renforcer la perspective biblique

Contrairement à la première partie de la parabole, la seconde est solennelle et bouleversante. Ici, Jésus met le doigt sur la plaie, pour ainsi dire, de la mort et des visites supposées des morts aux vivants.

Nous avons constaté que toutes les histoires issues de milieux non bibliques partageaient trois caractéristiques communes. Les révélations des morts (a) peuvent éclairer les vivants ; (b) n’incluent pas la résurrection ; et (c) introduisent des témoins oculaires. Jésus démolit ces trois points.

Premièrement, lorsque l’homme riche demande que Lazare soit envoyé aux cinq frères vivants pour les avertir, il est convaincu qu’il en sera ainsi : « Alors, je te demande, père, d’envoyer Lazare dans la maison de mon père ; car j’ai cinq frères. Qu’il leur apporte son témoignage, afin qu’ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de tourment ! » (Luc 16.27, 28).

La réponse le choque : « Ils ont Moïse et les Prophètes ; qu’ils les écoutent ! » (Luc 16.29). Évidemment, le témoignage des Écritures (Moïse et les prophètes) est plus que suffisant. L’homme riche répond : « Non » (Luc 16.30). Le mot grec ouchi n’est pas une simple négation, mais un « non » catégorique. L’homme riche qui a accepté, sans se plaindre, son sort misérable, ainsi que le refus d’Abraham d’envoyer du secours, ne peut accepter qu’une révélation des morts soit peu importante pour la repentance et les rebelles. Son incrédulité reflète probablement celle des foules qui croyaient également à l’efficacité des révélations des morts.

Pour bien faire comprendre ce point, Jésus répète la déclaration en l’accentuant davantage : « S’ils n’écoutent pas Moïse et les Prophètes, ils ne se laisseront pas persuader, même si quelqu’un se relevait d’entre les morts.» (Luc 16.31). Les révélations présumées des morts ne peuvent pas apporter la repentance ; seule l’obéissance aux Écritures le peut. « S’ils n’écoutent pas la voix de Dieu dans sa Parole, un témoin qui se relèverait d’entre les morts ne saurait les convaincre.»27

D’un point de vue intertextuel, il existe ici un rapport avec la résurrection de La- zare, le frère de Marthe et Marie. Les Pharisiens avaient rejeté le témoignage des Écritures au sujet de Jésus, aussi bien que sa prédication et son enseignement biblique. Les ayant rejetés, lorsque Lazare fut ressuscité des morts, ils rejetèrent aussi la puissance manifestée par Jésus. Au lieu de croire en ce que Jésus avait fait, ils cherchèrent à mettre Lazare à mort (Jean 12.10).

Deuxièmement, la parabole présente des arguments sur le retour à la vie de ceux qui sont morts. Dans Luc 16.27, l’homme riche demande à Abraham «d’envoyer» Lazare vers les cinq frères qui sont vivants. Lorsque cette demande est refusée, Luc 16.30 renforce la demande en mentionnant que si quelqu’un d’entre les morts « va » vers eux, ses frères l’écouteront. Aucune de ces deux déclarations n’indique qu’il s’agit d’une résurrection. Aucun des modes de communication entre les vivants et les morts, répandus dans les visions du monde méditerranéen et discutés dans la section sur le contexte non-biblique, n’est vraisemblablement envisagé ici.

En réponse à la demande ouverte de l’homme riche, Abraham affirme que la seule façon pour une personne de pouvoir revenir d’entre les morts, c’est la résurrection physique : « S’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne se laisseront pas persuader, même si quelqu’un se re- levait d’entre les morts.» (Luc 16.31).

Troisièmement, et peut-être le plus im- portant, il y a le témoin oculaire. Dans la parabole, en dehors d’Abraham, Lazare est aussi mentionné par son nom. C’est la seule parabole où une personnage a un nom. « Lazare » est la forme grecque du nom hébreu Eliezer. Eliezer était le serviteur en qui Abraham avait le plus confiance, et aussi le seul serviteur portant un nom (Gen 15.2).

Dans la cosmologie non-biblique et non-conditionnaliste juive, Abraham était l’être humain le plus élevé dans le ciel. Donc, si le ciel voulait envoyer à l’humanité un message venant des morts, le meilleur candidat était le plus grand des serviteurs d’Abraham, Eliezer/Lazare ! Bien sûr, la parabole ne dit pas que Lazare a servi comme l’a fait Eliezer, le serviteur d’Abraham. Mais il est assez évident que, dans l’esprit des gens de la foule un certain rapport devait être établi entre les deux. Ainsi Eliezer/Lazare était le candidat idéal pour revenir d’entre les morts.

Donc, la parabole crée parmi les morts le témoin oculaire idéal, mais refuse de l’envoyer, non pas parce que Dieu ne peut relever quelqu’un d’entre les morts par la résurrection; ni parce que Dieu ne veut pas aider les cinq frères qui ont besoin de repentance ; mais parce que cela n’est ni nécessaire ni utile. « S’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne se lais- seront pas persuader, même si quelqu’un se relevait d’entre les morts.» (Luc 16.31).

Dieu ne fera pas une chose qui ne sert à rien. Et si Dieu ne fait pas quelque chose maintenant, parce que cette tâche est inutile, il ne l’a pas faite dans le passé et ne la fera pas non plus dans le futur. Cela signifie que tous les supposés témoins oculaires parmi les morts, qui sont venus pour éclairer les vivants, n’ont pas été envoyés par Dieu, et leurs prétendues révélations ne viennent pas de lui.28 Quelle déclara- tion ! D’une façon audacieuse et avec une déclaration puissante, Jésus rejette toutes les prétendues révélations des morts !

En substance, à travers la parabole du riche et de Lazare, Jésus répète l’interdiction de Deutéronome 18.10-12 : « Qu’on ne trouve chez toi personne … qui se livre à la magie, qui cherche des présages, qui pratique la divination ou la sorcellerie, qui jette des sorts, qui interroge les spirites ou les médiums, qui consulte les morts. En effet, quiconque se livre à ces pratiques est une abomination pour le Seigneur ; c’est à cause de ces abominations que le Seigneur, ton Dieu, dépossède ces nations devant toi ».

Conclusion

Jésus a raconté la parabole de l’homme riche et de Lazare pour invalider les contes populaires de révélations des morts. La première partie de la parabole sape la crédibilité d’un tel genre en utilisant l’humour et le sarcasme dans ses représentations de la vie après la mort, telle qu’elle est comprise dans de telles histoires.

Cependant, l’objectif principal de la parabole vient dans la deuxième partie où Jésus démolit les attentes populaires comme celles reflétées dans la demande de l’homme riche, et souligne que : (a) les révélations des morts n’amènent pas de repentance – c’est seulement au moyen des Écritures que c’est possible; (b) tout retour d’entre les morts n’aura lieu que par la résurrection corporelle, et par aucun autre moyen ; et (c) il n’y a pas de témoins oculaires dans les récits non bibliques.

Aujourd’hui, tout comme au temps de Jésus, les récits de révélations de la vie après la mort abondent, que ce soit sous forme d’expériences de mort imminente, de rêves, de visites d’esprits ou d’autres moyens. Même dans les milieux chrétiens, de telles histoires circulent et leurs révélations sont même utilisées comme témoignage pour appeler les gens à la repentance.

Pour toutes ces choses, la parabole du riche et de Lazare, lorsqu’elle est bien comprise, est un rappel frappant que le seul outil pour amener les gens à la repentance et à la foi qui sauve, est la Bible, la Parole sûre et puissante de Dieu. Tout ce qui provient, soi-disant, du monde des morts n’est pas de Dieu et devrait être banni.


1. Les idées principales de cet article viennent de Kim Papaioannou, The Geography of Hell in the Teaching of Jesus: Gehenna, Hades, the Abyss, the Outer Darkness Where There Is Wee- ping and Gnashing of Teeth. Eugene, OR: Pickwick Publications, 2013.

2. L’absence de caractéristiques qui permettent d’identifier cette section littéraire comme une parabole et l’utilisation d’un nom propre pour l’homme pauvre ont conduit à spéculer sur le fait de savoir si ce récit constitue bien une parabole. Certains considèrent que ce n’est pas une parabole, mais plutôt une histoire vraie. Cependant, les détails de cette parabole, comme nous le voyons dans cette étude, et sa représentation de l’au-delà ne reflètent pas la vision biblique de la mort. Cette section commence par la phrase « Un homme riche avait… », une introduction qui ressemble à celle des trois autres paraboles dans l’Évangile de Luc (Luc 14.16-24 ; 15.11-31 ; 16.1-8). D’autre part, les versets 19-31 contiennent de fortes similitudes avec un certain nombre de contes, comme on le verra dans cet article. On peut donc appeler cette histoire une parabole sur le modèle des contes populaires. Fait intéressant, Le Roy Froom lui donne le nom de « fable parabolique ». Le Roy Froom, The Conditionalist Faith of Our Fathers, vol. 1. Washington DC: Review and Herald, 1966, p. 239.

3. Darrell Bock, Luke 9:51-24:53, Baker Exegetical Commentary on the New Testament. Grand Rapids, MI: Baker Academic, 1986, p. 1377.

4. Par exemple, voir les mises en garde de Joel B. Green, The Gospel of Luke, Grand Rapids, MI: Eerdmans, 1997, p. 607, 608; William Smith, Dictionary of the Bible, vol. 2. Cambridge: Cambridge University Press, 1869, p. 1038.

5. Adolf Jülicher, Die Gleichnisreden Jesu, 2 vols. Tübingen: Mohr Siebeck, 1888, 1899; L. Froom argumente avec éloquence dans ce sens. Il est intéressant de noter qu’il voit un lien entre cette parabole et les fables qui circulaient à l’époque, même s’il n’approfondit pas le contraste, tel que nous le faisons ici. L. Froom, Conditionalist Faith. p 234–251.

6. Le récit a, dans un premier temps, été souligné par Hugo Gressman, Vom reichen Mann und armen Lazarus: Eine literargeschichtliche Studie. Berlin: Kōnigliche Akademie der Wissenschaften, 1918. L’histoire remonte à un manuscrit du premier siècle, mais est probablement bien plus ancienne encore.

7. Jerusalem Talmud, Haggadah. 2.77.

8. Ronald Hock, “Lazarus and Micyllus: Greco- Roman Backgrounds to Luke 16:19–31,” in Journal of Biblical Literature 106/ 3 (Sept. 1987): p. 55.

9. Idem, p.455–63.

10. Platon, Republique. 10.614B–621B.

11. Richard Bauckham,“The Rich Man and Lazarus: The Parable and the Parallels,” in New Testament Studies 37/ 2 (1991) p. 225–246.

12. Babylonian Talmud,, Berakhot. 18b.

13. Ce récit est raconté dans l’Apocryphe de Jannes et Jambres. La Genèse ne nomme ni n’énumère les magiciens qui se sont opposés à Moïse, et elle indique encore moins qu’ils étaient frères. La tradition juive les nommait Jannes et Jambres, une tradition connue dans 2 Timothée 3.8.

14. Nous ne savons pas si Jambres se repent, car le texte est fragmentaire et il n’y a pas de conclusion au récit.

15. V.Tanghe considère Lazare comme l’envoyé d’Abraham, puisque Lazare est la version grecque de l’hébreu Eliezer, le serviteur d’Abra- ham (Gen 15. 2 ; cf. 24. 2). La parabole n’établit pas un tel lien. Toutefois, compte tenu de sa re- lation avec les histoires sur la vie après la mort, où un témoin connu a généralement un rôle principal, il est probable qu’un lien comme celui-là, entre Lazare et Eliezer, ait pu se faire dans l’esprit de l’auditoire.V.Tanghe,“Abraham, son fils et son envoyé (Luc 16.19–31),” in Revue Biblique. 91 (1984) p. 557–77.

16. Bauckham, “The Rich Man and Lazarus.” p. 328.

17. Sauf indication contraire, les références bi- bliques sont tirées de la Nouvelle Bible Segond.

18.Walter Bauer, A Greek-English Lexicon of the New Testament and Other Early Christian Literature, trans., ed., et aug. F. Wilbur Gingrich and Frederich W. Danker. Chicago, IL: University of Chicago Press, 1958, s.v. “chortazō.”

19. Comparer la traduction “auprès d’Abraham” (e.g. La Bible en français courant).

20. Bauer, Greek-English Lexicon, s.v. phonizo; Henry George Liddell and Robert Scott, A Greek-English Lexicon, révisé par Henry S. Jones. Oxford: Clarendon, 1968, s.v. phonizo.

21. Luc 2. 48; Actes 20. 38; Romains 9. 2; et 1 Timothée 6. 10.

22. Comparer Genèse 44. 31; Exode 3. 7 ; Deutéronome 26. 14 ; Proverbes 29. 21 ; Ésaïe 21.10 ;40.29 ;53.4 ; Lamentations 1.12 ; Aggée 2. 14 ; Zacharie 9. 5 ; et 12. 10. Voir aussi Genèse 35. 18 où, alors que le fils de Ra- chel est né dans la douleur physique de l’ac- couchement, elle l’appelle Ben-Oni — uios odunes,“fils de la tristesse”— faisant ressortir, peut-être, son angoisse émotionnelle plutôt que sa souffrance physique.

23. Joseph Fitzmyer, The Gospel According to Luke X– XXIV (The Anchor Bible, vol. 28a). Garden City, NY: Doubleday, 1985, p. 1133.

24. Liddell and Scott, Greek-English Lexicon, s.v. katapsucho. Liddell and Scott définissent ce terme comme “froid” ou “rafraîchissement,” alors qu’ils traduisent l’adjectif associé katap- suchros par “très froid.”

25. Par exemple, voir Stanley E. Porter, Jeffrey T. Reed, and Matthew Brook O’Donnell, Funda- mentals of New Testament Greek. Grand Rapids, MI: Eerdmans, 2010, p.132, 33.

26. Par exemple 2 Samuel 16.20; 1 Rois 18.27 ; 22.13–16; Ésaïe 46.6, 7 ; Jérémie 10.5; 12.5 ; Matthieu 23.24 ; Marc 7.25–30 ; Jean 1.45, 46 ; 2 Corinthiens 12.13 ; Galates 5.12.

27. Ellen G. White, Les paraboles de notre Sei- gneur. Dammarie-les-Lys : SDT, 1953, p. 267.

28. La Bible renferme de nombreuses histoires d’individus qui sont morts et ont été ramenés à la vie, le plus connu étant Lazare. Cependant, aucun n’a raconté des histoires sur la vie après la mort, car il n’y avait aucune histoire à raconter. Les morts « ne savent rien » (Ec 9. 5).